Le Puy du Fou, la cour des miracles (10/05/2016)
Un parc d’attractions est un lieu aménagé pour permettre le divertissement. La propagande, quant à elle, est un ensemble d'actions et de moyens psychologiques mis en œuvre pour propager et faire prévaloir une doctrine, une idée, une opinion et susciter une décision.
Imaginons maintenant de lier les deux. Un parc d’attraction, lieu de propagande. C’est vieux comme le monde, ça peut être permanent ou éphémère. Les expositions coloniales ont constitué des modèles douteux du genre. Plus près de nous, il y a celui qui arbore comme emblème un château de princesse avec des grandes oreilles. C’est une des composantes de l’opium moderne, le loisir pour oublier la violence, et la vacuité, du grand capital tout en s’y vautrant confortablement. Mais derrière le décor, la vision n’est pas idyllique.
Il y a le parc d’attraction avec une thématique historique. Il en existe plusieurs. Il y a le plus fameux d’entre eux, en terre vendéenne. Le Puy du Fou. Un monument du parc d’attraction et de la propagande touché par la grâce de Dieu à tous les coins du parcours. Enfin, le Dieu des chrétiens, de la branche catholique et plutôt prosélyte.
Sur le plan technique et scénographique, les spectacles sont irréprochables : on en prend plein les yeux. Les décors semblent plus vrais que nature, les costumes recherchés, les effets spéciaux nombreux et inventifs. Une arène romaine, un village de l’an mil, un lac de l’épopée arthurienne, un château du XVème, tout est majestueux, il suffit de se laisser porter pour être immédiatement transporté au temps jadis. Une recherche de la précision qui donne à penser que l’on veut s’approcher d’une vérité historique. Mais la vérité historique, l’explication, la contextualisation n’ont pas leur place dans le spectacle vendéen. C’est un récit auquel nous assistons : celui du christianisme et dans une moindre mesure de l’identité nationale et locale. La Vendée et la religion sont portées au pinacle, dans une relecture des évènements par la confusion des genres et le miracle permanent.
Cette confusion, savamment entretenue, fait œuvre de propagande sous couvert du spectacle. Pour ne prendre qu’un exemple, les jeux du cirque, merveilleusement reconstitués par ailleurs, ne sont que le prétexte de rappeler le martyr des chrétiens, sous Dioclétien. Crise politique plus que religieuse en réalité, tout laisse pourtant à penser qu’en 300, en Vendée, la christianisation est totale, et que l’empire tente de procéder à un génocide envers une communauté, dont le seul tort, et c’est là que la contextualisation aurait permis une approche critique et historique, est de ne pas vouloir se plier à la reconnaissance de l’empire, plaçant Dieu au-dessus des hommes et des institutions. Sans parler du fait que la Vendée est présentée comme gauloise, quand l’intégration dans la sphère romaine depuis plus de 300 ans a plutôt permis la naissance d’une civilisation gallo-romaine et que l’édit de Caracalla de 212 a étendu la citoyenneté romaine à tout homme libre de l’empire. Sous l’innocence de scénarios visant à mettre en scène une tranche d’histoire, grande ou petite, c’est une petite musique qui se fait entendre, celle d’un panégyrique à la gloire des œuvres divines et d’un temps, celui d’avant la révolution, où chacun à sa place, une élite dominait par les seuls mérites de la naissance au bon endroit, le plus beau des royaumes, celui de France, et où même les gaulois sont appelés au secours pour donner une continuité historique par une ellipse qui passe sous silence pas loin de mille ans d’histoire, à savoir le temps de l’empire romain, sa décadence, les invasions barbares, les royaumes francs… Au-delà, il y a une vision idyllique des rapports sociaux, où nobles et paysans avancent main dans la main, alors que les tensions ne feront que s’aggraver, conduisant à l’épisode révolutionnaire qui justement, viendra renverser cette société stratifiée où une petite élite domine honteusement la majorité de la population (ça ne vous rappelle rien… ?).
La vision est manichéenne, toujours, les bons contre les mauvais. Dans la première catégorie, invariablement, le bon chrétien. Dans la deuxième, les païens (romains, vikings), les anglais, les bohémiens, souvent masqués, pour déshumaniser l’ennemi et empêcher le processus d’identification. En demandant au public de s’identifier, de prendre part. Les mauvais finissent par être vaincus et pour certains cèdent aux sirènes de la révélation divine : la conversion est un procédé particulièrement apprécié !
Certains ne sont pas dupes, mais beaucoup ne prennent pas le recul nécessaire. Au demeurant, prendre du recul, ce serait s’ôter la moitié du plaisir des spectacles : le temps de cerveau disponible nécessite de mettre en sommeil tout sens critique.
Ce qui fait du Puy du Fou un laboratoire et un condensé de notre société d’aujourd’hui. La société du spectacle n’est pas une société de la neutralité. C’est une société idéologique qui tente de se camoufler sous des airs de spectacle. Des messages sont distillés, incidemment, plus ou moins grossièrement, mais ils finissent bien par entrer : plutôt que d’imposer frontalement une croyance, celle-ci est installée par un processus d’intégration progressive au point de se transformer en valeur partagée.
Mais il y a aussi derrière cette recherche du spectacle et du plaisir une forme de quête de sens que Le Puy du Fou et ses fondateurs exploitent avec brio. Comme de nombreux médias. Quel sens donner à la vie, à la société. Quelle valeur transcendante mettons-nous dans nos actions quotidiennes. La loi de la jungle, la loi du marché, le message divin sont quelques-unes des idéologies qui se montrent dans les programmes d’aujourd’hui. Le retour du religieux, sous toutes ses formes, ne peut qu’interpeller. De quoi est-il le signe, à quel vide répond-il ? Pendant de nombreuses décennies, la raison, les lumières, la foi en le progrès, en la solidarité et l’humanité ont permis une forme de transcendance incarnée par la puissance publique et l’égalitarisme démocratique. Une entreprise de démolition totale, à l’œuvre depuis les années 70, déconstruit tous les fondements, les édifices et les croyances qui avaient permis que l’Homme ne soit plus seulement un loup pour l’Homme. Dans une société de la concurrence pure et parfaite, où l’insécurité est un moteur pour asservir la majorité, le retour du religieux est une forme de réponse face à cette déconstruction des cadres de la société. Comme la xénophobie, le repli sur soi… Le ré enchantement du monde est nécessaire. Mais faut-il le laisser aux idées surannées, mortifères, fondées sur un hypothétique au-delà qui chante ou encore à une stigmatisation de l’autre et la reconstitution de groupes grégaires ?
Plutôt que de rire du Puy du Fou, il serait de bon ton de s’en inspirer. À sa manière, il participe à la guerre des idées et à préparer les hégémonies de demain. Mais il est certain que sans les miracles, le spectaculaire sera plus dur à trouver, mais pourquoi pas : après tout Jaurès et Louise Michel n’ont rien à envier à Saint Damien et Jeanne d’Arc !
22:06 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : puy du fou, parc attraction, propagande, de villiers, vendée | | Facebook | |
Commentaires
Bravo ! C'est exactement le sentiment que j'ai après cette première journée... Et le spectacle du soir ! Merci pour l'analyse
Écrit par : Thomas | 21/08/2016