Cachez ce tissu que je ne saurais voir... (22/08/2016)
La fin de l’été qui approche et la baisse des températures devraient normalement ramener à la raison les uns et les autres dans le débat sur la tenue qui a fait le buzz de l’été, le burkini. Au demeurant, d’ici quelques semaines, il sera difficile de distinguer un burkini d’une couche de vêtements d’automne, et sur les plages bretonnes, le burkini est depuis longtemps à la mode, il est même nécessaire pour surfer, et même seulement nager, les hommes eux-mêmes l’arborant fièrement. Mais la fin de l’été annonce plutôt ce que la Maison Stark a pris comme devise, Winter is coming, le pape François nous ayant prédit la poursuite des ravages du terrorisme de l’argent, que l’on retrouve parfois (et même souvent) caché derrière le masque de la religion.
Plus sérieusement, il y a derrière ce débat nauséabond les ingrédients pour faire monter, dans une société, la mayonnaise nécessaire pour opposer les uns aux autres. Avec beaucoup de mauvaise foi de part et d’autres, et une volonté d’expliquer le monde en noir et blanc qui n’est pas la couleur naturelle de la réalité, ni de la vie.
Il y a dans la volonté de légiférer, de réglementer, sur la manière de s’habiller à la plage un combat d’arrière-garde, un besoin de caresser le con dans le sens du poil et une volonté de confondre les causes et les conséquences. Rien n’est plus moraliste que d’imposer la norme vestimentaire, de dire comment le corps doit être couvert ou non. Le burkini est un avatar de ce moralisme, moralisme religieux, mais comme a pu l’être l’interdiction et la chasse du bikini dans les années passées, au nom d’une certaine morale chrétienne. Dire comment doit s’habiller quelqu’un, ce n’est pas à la société de le dire en droit, si ce n’est avec des prescriptions minimales sur l’atteinte à la pudeur et encore, celle-ci est une conception morale que les religions ne négligent d’ailleurs pas, Adam et Ève découvrant la honte de la nudité après avoir gouté le fruit de la connaissance ( ce qui prouve le caractère infantilisant du discours religieux, rester dans l’ignorance pour vivre une vie paradisiaque). Le Burkini, comme le maillot deux pièces, pose un problème non pas à ceux qui le portent mais à ceux qui les regardent et c’est de ce côté-ci qu’il faut travailler le discours et les actions. Si une femme veut porter un Burkini, c’est son droit. Elle peut et doit pouvoir l’exercer (elle peut aussi ne pas vouloir le porter en dépit de la pression familiale, et c’est à la société de pouvoir lui permettre d’affirmer ce refus). En revanche, il doit être accepté que d’autres ne le portent pas et exposent leurs corps. De même, si une femme porte un deux-pièces, elle est dans son droit, ce droit doit lui-être garantie (et c’est là que les pouvoirs de police sont importants pour qu’elle ne se fasse pas importuner sous prétexte qu’elle montre sa peau) et elle doit accepter que sa voisine de plage puisse porter un burkini, une combinaison de surf, un paréo de mauvais goût ou encore des chaussettes avec des sandales (personnellement, il y a dans ce dernier exemple un tel mauvais goût que la question de légiférer sur les porteurs de sandales avec des chaussettes est un véritable débat de fond). Prendre prétexte que le bikini est interdit dans un grand nombre de pays musulmans pour légitimer des arrêtés anti-burkini relève par ailleurs au mieux de la paresse intellectuelle, plus surement de la bêtise congénitale : ce n’est parce que d’autres sont plus cons que l’on doit les suivre dans la bêtise. Il y a des moyens plus efficaces de les ignorer et de régler nos problématiques internes.
Le burkini n’est que le prétexte à ramener les causes aux conséquences et brouiller la complexité du monde. Cliver la société permet de se compter, grossièrement, et de ne pas affronter les difficiles questions qui se posent aujourd’hui et que personne ne souhaite résoudre autrement que dans le fait de trancher un nœud gordien quand il faudrait démêler l’écheveau, et pour reprendre une expression biblique, séparer le bon grain de l’ivraie. Il y a aussi le symbole d’une dérive : donner l’illusion d’agir en édictant un texte plutôt que d’appliquer ce qui existe déjà, au risque de brouiller et vider de sa substance l’effectivité de ce qui existe. Par ailleurs, le malheur veut que lorsqu’une position outrancière est tenue, la réponse ne puisse être que caricaturale et de là découlent certains malheurs de notre temps, si vous permettez à l’auteur de ces lignes de prendre une tonalité tragique bien loin du bonheur que procure le décompte de breloque olympique dans le grand tableau du classement des nations, autre occupation nationale ces derniers temps.
Une chose sur laquelle tout le monde peut être d’accord est que la religion et le fait religieux marquent un retour en force dans le monde, place que le matérialisme désincarné et la peur du lendemain ont rendue propice. Face à la perte de sens, chacun se raccroche à des croyances, et celle d’une transcendance et d’une parole révélée ont le vent en poupe. Le fait religieux, censé relier les Hommes étymologiquement, ne se contente pas d’exister, il prétend plus ou moins imposer sa vision du monde. Il peut s’accommoder des autres, être pacifique, mais il porte en lui les germes du totalitarisme, prétendant régenter les moindres aspects de la vie des Hommes et éliminer les concurrents (cela rappelle plus ou moins vaguement les ressorts du marché n’est-il pas ?). Les succursales religieuses connaissent toutes ces déviances, et l’intégrisme, version absolue et totalitaire du fait religieux, ne s’est jamais aussi bien porté. De ce point de vue-là, il faut le reconnaître, rien ne serait pire que de nier les dérives du fait religieux de peur de froisser les susceptibilités et de se faire taxer de « mettez le nom d’une religion-phobe ». Nommer les choses, c’est être à même de les affronter. De l’autre côté, il ne faut pas être dupe sur les intentions de certains, qui critiquant une dérive sectaire, s’en prenne en fait à tous les croyants d’une religion et encore plus largement à tous ceux qui seraient ethniquement supposés être de cette religion. Le racisme masqué par une laïcité dirigée et manipulée est en pleine forme, même si l’heure n’est plus aux précautions oratoires, le racisme est décomplexé. Nommer les choses, c’est établir les faits, la vérité, quand bien même elle fait mal, quand bien même elle peut à court terme, mettre de l’huile sur le feu. Au demeurant, les citoyens sont moins cons que ne veulent bien l’admettre les élites, ils savent rester mesurer et trier le bon grain de l’ivraie plus finement qu’un politique sur un plateau de télévision.
Dans les trois religions du livre, les fous de Dieu se ramassent à la pelle, et le prosélytisme dont ils sont acteurs leur assure un développement hallucinant, bien aidés par les mannes financières étatiques ou privées. Sur ce dernier point, l’hypocrisie règne dans tous les coins. Combattre le radicalisme en interdisant le Burkini, tout en faisant affaire avec les régimes ayant assuré la promotion de celui-ci en finançant le prosélytisme et en appliquant la Charia constitue un acte de schizophrénie qui devrait conduire leurs auteurs dans le premier institut psychiatrique ou traduit devant des tribunaux populaires.
La religion doit être remise à la place qui est la sienne : c’est une affaire privée. C’est le long combat de la lutte pour la laïcité. Chacun est libre de penser ce qu’il veut, de croire en qui ou quoi il veut (ou de ne pas croire), mais personne ne saurait imposer ses vues aux autres et à revendiquer l’exclusivité de l’usage de l’espace public pour des considérations morales. Aucun culte ne saurait revendiquer d’être l’inspirateur ou pire, le législateur, de la loi des Hommes et le conducteur des comportements individuels.
La lutte est bien entendu parfois asymétrique quand des États se fondent sur une religion d’État, quand le développement du fait religieux constitue une politique publique d’État, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Le défi pour nos sociétés n’est pas simple, même s’il est déjà ancien. Comment permettre à des systèmes de croyance de s’inscrire dans la durée dans une société sans empiéter sur les règles communes et le faire ensemble. Autrement dit comment une identité commune peut se décliner en variation individuelles et collectives sans mettre en péril le tout. Ramassage des copies dans deux heures.
Les prescriptions alimentaires, vestimentaires ou toute autre prescription ne sauraient être interdites par la loi. En revanche les dérives, l’intolérance et l’intégrisme peuvent et doivent être combattus. Le trouble à l’ordre public, déjà inscrit dans la loi de 1905, est un concept assez plastique pour s’adapter aux problématiques de notre temps. Il permet justement de séparer le bon grain de l’ivraie en matière religieuse. De fermer les lieux qui contreviendraient à la devise républicaine par leurs agissements.
L’Islam est présent en France depuis des décennies. C’est une vieille histoire, des chemins croisés, sans faire de mauvais jeu de mots, à travers les siècles. Au quotidien, des millions de français de confession musulmane ont déjà réalisé l’acculturation entre cette religion et la République. Mais comme le christianisme, le judaïsme, l’hindouisme, l’Islam est lui aussi traversé par des tentations et des poussées intégristes. Les volontés de faire de l’appartenance religieuse un marqueur identitaire, sans être nouveau, ne rencontrent pas moins une aspiration individuelle de retrouver une place que la mondialisation a tenté d’effacer derrière le seul intitulé de consommateur. Sans se voiler la face, et sans crainte d’être taxé de phobe, c’est cet intégrisme qu’il faut combattre inlassablement.
La Laïcité n’est pas autre chose que permettre la neutralité confessionnelle, assurer la liberté de conscience et de culte, la protection de l’espace public et la prévention des troubles à l’ordre public. Nous avons tous les instruments à notre disposition pour peu que nous en ayons la volonté et le courage, ce dont nous avons certainement manqué ces dernières décennies, par calcul, par peur du qu’en dira t-on, par lâcheté, par négligence. Mais ce n’est qu’un premier pas. Traiter les dérives n’est pas traiter les causes. La cause est, mais ce n’est pas la seule, elles sont multiples, la perte de sens et de repères, la volonté de s’accrocher à une identité qui vous raccroche à un groupe, à une histoire commune. Cela est d’autant plus vrai quand votre place dans la société n’est pas assurée, quand votre existence dans la société est niée ou considérée de seconde zone. Autrement dit, sans réenchantement du monde, sans reconstruction d’un récit et d’une histoire commune, sans réintroduire l’égalité et la fraternité, la lutte contre les dérives religieuses ressemblera à un combat contre l’Hydre.
Dans cet ordre d’idée de la recherche des causes du succès des intégrismes (n’oublions pas l’emprise de la Bible belt aux Etats-Unis, le nationalisme Hindou en Inde ou encore l’extrême droite ultra-orthodoxe en Israel), le projet de société proposé par l’oligarchie mondiale, un capitalisme sans foi ni loi, casse les identités, brise le sens que l’on peut donner à une vie humaine, peut rendre cette vie tellement merdique que la planche de salut se trouve être dans la croyance en une vie au-delà, et constitue de ce fait un formidable aspirateur pour toutes les dérives sectaires du monde. Derrière le combat contre l’obscurantisme, les dérives sectaires, il y a des chaines à briser, qui sont celles du pouvoir de l’argent. Là aussi, le courage et la volonté ne doivent pas faire défaut. Retournons le problème : les rédacteurs d’arrêtés anti-burkini sont-ils prêts à légiférer pour empêcher le commerce avec les théocraties pétrolières ? Les dénonciateurs de tenues vestimentaires sont-ils prêts à interdire les rideaux de fumée des paradis fiscaux ? Les islamophobes revendiqués sont-ils prêts à mettre l’économie et l’oligarchie au pas ?
Malraux disait que le XXIème siècle serait religieux ou ne serait pas. Il devra être surtout courageux ou il ne sera pas.
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