Cachez ce réchauffement climatique que je ne saurais voir... (27/01/2018)
Depuis ses premiers pas sur la terre, Homo Sapiens a fait du chemin. Si à l’échelle de la vie sur terre, il représente moins qu’un battement de cil dans une journée, il a su littéralement marquer de son empreinte la planète qui l’a vu naître. Son pouce opposable et ses compétences en matière de communication et d’abstraction ont fait des miracles, lui permettant d’inventer, dans le désordre, la stratégie militaire, l’extinction des autres hominidés, la suppression de la mégafaune, le tout à l’égout, le moteur à explosion, la pâte à tartiner à la noisette et les conflits religieux. Sa dernière œuvre de destruction massive, le réchauffement climatique, ferait pâlir de jalousie les dieux si ces derniers avaient un jour existé. Mais rendons à Sapiens ce qui lui appartient tout autant, il a inventé la médecine moderne, la retraite par répartition, l’abolition de l’esclavage et de la peine de mort… Le bilan est ainsi mitigé, comme le dirait le commentateur sportif, il est capable du meilleur comme du pire. Mais nécessairement il faut assumer ce bilan, pour permettre de prendre conscience de ce qui se déroule sous nos yeux.
Avec une certaine dose de mauvaise foi, le seul représentant de l’espèce des hominidés encore vivant sur ses deux pattes postérieures est également capable de porter l’espérance à des niveaux qui lui permettent de faire l’impasse sur les luttes présentes : l’espoir fait vivre dit-on mais il permet aussi d’éluder les problèmes. Ou mieux encore, s’il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème. Il fallait y penser.
Face au réchauffement climatique, la quintessence de la bêtise humaine dira, à défaut de nier carrément l’existence du phénomène, équipez-vous de climatiseurs, face à la crise des migrants, hérissez des murs, face à une maladie, supprimez les symptômes. Cachez ces conséquences que je ne saurais souffrir. La palette de réflexions de notre espèce face à un problème est inépuisable et lui permet ainsi d’adopter plusieurs stratégies, avec plus ou moins de succès.
La première des stratégies, et non des moindres dans la psychologie humaine, c’est de faire l’autruche, mais avouons-le tout de suite cela ne marche qu’un temps, les problèmes qui se résolvent d’eux-mêmes ne sont pas si nombreux que cela. Pour ne pas dire inexistants. Ils reviennent toujours comme le boomerang avec deux fois plus d’effets…
L’humanité serait plus inspirée à traiter les causes. C’est la meilleure solution à long terme mais c’est aussi la plus coûteuse à court terme et pas seulement financièrement. Pour notre malheur actuel, la paresse étant ce qui a permis à l’humanité d’évoluer, en cherchant à se rendre la vie plus facile, c’est souvent le choix le moins contraignant qui est adopté, sans se douter, ou plus surement, en éludant les conséquences futures des choix contemporains. La préférence pour le présent n’est pas sans conséquence : elle peut être instinctive et sauver la vie, quand l’urgence absolue conduit à s’extraire d’une situation dramatique, mais elle peut être aussi une forme de procrastination bien dangereuse quand les pots cassés sont renvoyés aux calendes grecques.
Quand l’être humain invente le moteur à explosion, cette avancée technologique lui permet de conquérir le monde en abolissant l’espace et dans une moindre mesure le temps, sans se douter qu’elle va occasionner en moins de deux siècles une des plus grandes tragédies que l’Humanité s’apprête à connaître, peut-être même sa survie. Pour deux siècles de confort, l’humanité hypothèque son futur en brulant des millions d’années de dépôt de carbone en un claquement de doigt. Homo sapiens est pressé, toujours plus vite, plus haut, plus fort, en oubliant la finitude des choses et en affirmant toujours sa préférence pour le présent, en se disant que le remède finira bien par être trouvé, plus tard, par d’autres.
Les crises sont multiples aujourd’hui, les symptômes sont innombrables et ces alertes ne sont pas prises à la mesure de ce qu’elles devraient être. Quelques génies trouveront bien une solution à tous nos maux, il y a une permanence de la pensée magique dans nos sociétés prétendument rationnelles. Des aspirateurs à carbone, des désintégrateurs de pollution, entre science-fiction et école des sorciers l’espoir ne fait pas seulement vivre, il permet tout autant de se donner bonne conscience. Pour être certains de ne pas être importunés par une réalité désastreuse, l’attention est portée sur des dérivatifs : le loisir, le monde imaginaire. Plus tragiquement, le bouc émissaire est une autre technique, vieille comme le monde, rendre responsable de tous les malheurs du monde une personne ou une catégorie de personnes.
Il y a un mensonge qui est savamment entretenu : c’est croire que tout pourra changer sans ne rien changer à ce que nous sommes, ce à quoi nous aspirons. Notre mode de vie est destructeur de l’écosystème dans lequel nous vivons. Nous pouvons réduire notre empreinte, mais les efforts à faire ne peuvent se résumer à acheter des appareils moins consommateurs d’énergies : leurs multiplications annihilent tous les efforts vertueux. Penser que nous sommes trop nombreux sur terre également : c’est un prétexte à ne pas voir que le problème n’est pas le nombre, mais ce que chacun fait. Si les humains consommaient tous comme des habitants des pays développés, l’humanité serait déjà condamnée. A contrario, consommer comme les habitants les moins énergivores pourrait permettre à la terre de souffler quelque peu. Il y a sur cet argument un vrai danger, certains considérants comme inéluctable de réduire de manière drastique la population mondiale pour permettre à quelques-uns de continuer à assumer un mode de vie mortifère. C’est peut-être là un des changements majeurs dans la perception qu’ont les élites des autres humains, avec les dérives autoritaires et sécuritaires que nous connaissons, la mise en place d’une société contrôlée pour se préparer à des lendemains qui déchantent. La déshumanisation progressive de la majorité de la population par une élite se considérant comme élue, comme dans les pires dystopies de la littérature ou du cinéma. Bienvenue à Gattaca est à nos portes si nous n’y prenons pas garde.
Penser le monde soutenable de demain demande une once de courage, pour affronter la réalité, accepter les adaptations, assumer les renoncements.
Cela n’empêche pas de gérer les conséquences et la fièvre qui s’emparent du monde. Sans rajouter du malheur au malheur. Il faut s’adapter devant un état de fait. Et pour cela s’ouvrir à l’autre. On ne peut pas revendiquer un héritage spirituel de fraternité et fermer sa porte à ceux qui en ont besoin. La aussi, il faut dépasser sa paresse et accepter de s’ouvrir. Et pas seulement aux capitaux. Et plus surement, c’est bien la dernière chose à laquelle il faut s’ouvrir, les capitaux.
Affronter la réalité c’est la faire sienne. C’est l’embrasser, avec ce qu’elle a de beau mais aussi de laideur. C’est accepter aussi de prendre sa part dans celle-ci. Si c’est souvent la faute des autres, chacun peut être responsable, par le fait de faire, ou au contraire de ne pas faire.
Il faut une dose d’optimisme, sans angélisme, pour transformer le monde, c’est certain. Si l’on se dit que c’est perdu, c’est le meilleur moyen pour ne rien faire et attendre la fin de l’histoire : après tout, cela tombe bien, ce qui y seront confrontés ne sont peut-être pas encore nés et ceux qui peuvent faire changer les choses ne souffrent pas aujourd’hui des effets de l’anthropocène d’une part et mangeront les pissenlits par la racine quand le grand cataclysme arrivera.
Plus qu’une transition, c’est un changement majeur qui est nécessaire : il ne viendra qu’en construisant des alternatives en rupture avec l’existant, pour que ce dernier ne puisse que disparaitre, étouffé par le nouveau monde. C’est certainement l’étape la plus difficile, rompre avec le passé. Et ouvrir les yeux sur les discours dominants, les pensées magiques qui abreuvent le quotidien… Hocus Pocus…
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