De l'art d'empapaouter les foules... (12/03/2017)

présidentielle 2017, communication, démocratie, journalisme, buzzEn théorie, nous choisissons nos représentants sur le projet et les idées qu’ils présentent et qu’ils, toujours en théorie, promettent de mettre en œuvre une fois élus. En théorie, le champ de bataille électoral devrait être constitué d’un débat d’idées, où chacun des candidats pourrait, à égalité de traitement, sans interférence immédiate,  présenter ses idées, répondre à des questions sans que ces questions ne soient des interruptions journalistiques s’apparentant à une prise de position non assumée derrière le paravent de l’appartenance à une noble profession qu’une poignée d’émail diamant du PAF est en train de mettre en pièce. Sur ce dernier point, il n’y a pas forcément volonté de rouler pour l’un ou l’autre mais il y a une croyance tenace d’être dans le vrai depuis son piédestal cathodique et quand les journalistes se veulent être censeurs et directeurs de conscience, ils empruntent le chemin sulfureux de l’emprise religieuse sur les masses, enivrés de la toute-puissance de ceux qui se rêvent faiseurs de rois. Et le risque de n’être pris que pour un vulgaire curé sur sa chaire, dont on moque l’office après que la messe est dite.

Plus sournoisement et dangereusement, les temps d’antenne consacrés aux uns et aux autres montrent que le pluralisme des idées doit s’accommoder d’une dose de cheval de construction de l’audimat : si le FN n’existait pas, certains journalistes l’inventeraient… L’information n’est qu’un prétexte pour faire le buzz. Le candidat qui, le plus sérieusement du monde, tenterait de faire son travail serait remis à sa place aussitôt : le programme, c’est ringard, vous ne voulez vraiment pas cracher sur vos concurrents plutôt ou nous montrer vos dernières photos de vacances, les français ont besoin de savoir. Et si le candidat ne rentre pas dans le jeu ou dans le cadre imposé de l’infotainment, une forme ouverte de mépris et de condescendance s’installe, quand ce n’est pas un écran noir et une disparition pure et simple des invitations.

Certains l’ont bien compris, la vérité n’est pas fondamentale, seuls le discours mais plus surement, le bon mot, ou la punchline pour faire moderne, bien placés importent. Un soupçon de malhonnêteté est même vivement recommandé ; une fausse rumeur contre un concurrent aura un double effet : elle fera parler du vilain délateur, car en bien ou en mal, il faut être dans le viseur des projecteurs (mais pas trop longtemps en mal, sauf à se faire passer pour un martyr) et jettera le doute sur le concurrent. Et tous les rectificatifs du monde seront sans équivalent sur le mal initialement fait : audacter calumniare, semper aliquid haeret. De ce point de vue, ces dernières années sont inquiétantes, que ce soit aux Etats-Unis, avec les faits alternatifs à la sauce Trump aux dérapages des candidats à l’élection présidentielle de l’ancienne patrie des droits de l’Homme convoquant des faits divers qui n’existent pas. Le fact checking qui s’installe durablement est le symptôme d’une société malade où la propagande a pris le pas sur l’information.

La communication, dans son expression ultime et utilitariste, étant l’art de faire passer un âne bâté pour une licorne, le bestiaire que nous contemplons ces dernières semaines s’apparentent aux récits mythologiques où l’attaque d’un hameau est devenue, avec le temps et l’enjolivement par les narrateurs, la mère de toutes les batailles. Raconter une histoire, tenir la plume du récit de sa vie, telles sont les obsessions des candidats. Pour peu que certains ne se contentent pas de la soupe servis sur notes en papier glacé par les équipes de campagne et que le tapis soit soulevé, la belle mécanique se grippe. C’est gênant parce que cela écorne l’image lisse qu’un candidat veut se donner, et ça remettrait presque certains médias sur la mauvaise pente : certains feraient de l’investigation et même, ils en viendraient à vouloir parler des programmes et du fond des choses…

Mais là encore, tout n’est pas blanc ou noir, quelques candidats sont ravis que le fond de leur programme ne soit pas évoqué : entre la couverture et le livre, ce n’est plus le grand écart, c’est la découverte d’un trou dans l’espace-temps que les électeurs hypnotisés ne sauraient découvrir.

Concédons-le : il y a aussi une certaine paresse chez nos compatriotes, qui succombent facilement au prêt à penser pour ne pas avoir à faire l’effort de s’intéresser en profondeur à la chose publique ou au contraire peuvent s’y consacrer pleinement sans se poser de questions. Il y a, on le pressent, plusieurs postures, et un même individu peut en adopter plusieurs, successivement ou cumulativement.

Il y a le supporter inconditionnel d’un candidat : tout ce que dit son candidat est vérité d’évangile et la moindre critique, même pleinement justifiée, que vous pourrez avancer vous vaudra un procès en sorcellerie instantané : la mauvaise foi est capable de soulever des montagnes, y compris de détritus, pour la lancer sur les opposants. Il n’y de pire aveugle et sourd que celui qui délibérément ferme les yeux et se bouche les oreilles… Cette posture conduit dans le jusqu’au boutisme aveugle, capable de justifier l’injustifiable quand celui-ci fait son apparition.

De l’autre côté du spectre, il y a l’abstinent total : il veut déjeuner en paix et les affaires de ce monde ne l’intéresse pas ou plus, pour tout un tas de raisons, bonnes ou mauvaises. Quand vous devez vous débattre au quotidien, les joutes électorales sont comme le capitaine Flam, elles viennent d’une autre galaxie. Mais il y a aussi un certain confort à penser que de toutes les manières, c’est comme ça, tous pourris, rien à faire. Ça permet de ne pas s’interroger sur ce que chacun individuellement nous produisons collectivement (« Si on ne leur baille rien, si on ne leur obéit point, sans combattre, sans frapper, ils demeurent nus et défaits et ne sont plus rien, sinon que comme la racine, n’ayant plus d’humeur ou d’aliment, la branche devient sèche et morte. » La Boétie, discours de la servitude volontaire).

Certains, tout en dénonçant ce comportement se frottent les mains : l’abstention, il n’y a rien de mieux pour ramasser le pouvoir ou conserver ses positions. Certains états-majors de campagne ont l’œil rivé sur la participation : si elle est trop haute, les mines de décomposent…

Entre les deux, un spectre d’individus plus ou moins impliqués et plus ou moins conscientisés, qui cherchent à se faire une opinion et ont parfois toutes les peines du monde à séparer le bon grain de l’ivraie. Population qui se retrouve souvent prise en otage par l’argument massue du vote utile : ok, le candidat n’est pas celui dont on rêve, mais votons pour faire barrage. Depuis 30 ans, nous voyons le succès de cette stratégie gagnante à court terme mais destructrice sur le temps long. Le vote utile, c’est l’argument de ceux qui n’en ont pas ou plus.

Arrêtons l’empapaoutage de masse, éteignons les écrans et posons-nous pour lire les programmes, les CV des candidats, la cohérence entre ce qu’ils sont et ce qu’ils prônent (de ce point de vue, les révélations sur les candidats, en dehors des éléments de la vie strictement privée, ne sont pas des assassinats mais de l’information de salut public, pour un vote éclairé). Plus largement, la question n’est pas de savoir quel bénéfice immédiat et personnel je peux retirer du soutien à tel ou tel candidat, mais comment sera la société une fois celui-ci élu. L’important est autant de savoir si le candidat va gagner que si les idées qu’il défend permettront de faire avancer la société. La démocratie est une exigence, sans bénéfice immédiat : la démocratie se meurt d’être considérée comme un marché.

 

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