Comment déplacer des montagnes sans avoir l’air d’y toucher… (05/04/2017)

vote utile, présidentielle 2017, transition, legislative, citoyennetéAu milieu de la multitude des autres, le petit d’homme se sent seul. Ou plutôt, il se sent écrasé par l’ombre des montagnes qui l’entourent et qu’il ne peut ni franchir, ni déplacer. Quel poids a-t-il sur le destin du monde, lui, perdu au milieu des milliards de ses congénères. Il se voit minuscule, pareil à un grain de sable au milieu du désert, maîtrisant à peine son environnement immédiat quand ce n’est pas son environnement immédiat, mais aussi et surtout plus éloigné, qui le contraint, le domine, l’asservit.

Face à la complexité du monde ou du moins la complexité édifiée et renforcée pour le rendre moins intelligible et plus difficilement appréhendable, homo sapiens se pose une question que beaucoup d’autres cherchent à résoudre, à savoir quelle est l’utilité de penser, d’agir, n’est-il pas vain pour lui de lutter contre un système qu’il n’arrive pas à saisir, si prégnant et pourtant si nuageux. La confiscation du pouvoir, le népotisme, la corruption, la financiarisation de l’économie, la concentration de la richesse, du pouvoir médiatique et de décision entre quelques mains, ont en effet de quoi désespérer sur la capacité à transformer le monde et il n’est pas une journée où le constat terrible de déclarer la démocratie en coma profond et ne présentant plus qu’une façade de circonstance pour tenir les masses ne soit fait.

L’élection présidentielle actuelle constitue la mise en avant de ce sentiment et de cette situation, comme si le voile du mensonge se déchirait pour montrer le décor d’une salle des machines peu reluisante où s’active en coulisse une petite poignée de gobelins avides : dans le théâtre de marionnettes que constitue le cirque médiatique,  il vient un moment où le marionnettiste apparaît et disons le tout de go, il est assez repoussant et particulièrement inquiétant.

Pourtant, devant une évidence apparente, il ne faut pas désespérer et baisser les bras. Chaque individu peut être le changement, à sa petite échelle, et des grappes d’individus connectées, une source de transformation radicale. À condition de considérer que la démocratie et le système de gouvernance politique ne s’arrêtent pas à la seule introduction d’un bulletin dans une urne à échéances régulières. Si la démocratie représentative n’est pas à jeter, elle ne peut être la seule voie d’expression citoyenne, sous peine de séparer les intérêts des représentés et des représentants. Au-delà de ses modalités à réformer (non cumul des mandats, rotation des représentants, lutter contre une professionnalisation et une captation par quelques-uns, véritable séparation des pouvoirs, de l’institution locale à l’institution européenne…),  la démocratie représentative ne peut se satisfaire d’élections par élimination ou sur fond de vote utile : ces deux techniques ne font qu’encourager et consolider la médiocrité du système et des acteurs aux manettes, pour le plus grand malheur de tous. Le vote utile est un piège à cons, un chantage qui vise à lisser le spectre de l’offre politique, tentative vaine de repousser l’affrontement avec les forces obscures.  A contrario, le vote de conviction est le seul qui permette de faire avancer et progresser les points de vue, d’enrichir le débat public et de faire émerger des alternatives. La richesse, c’est la multitude, c’est la confrontation, le débat, pas un monde en noir et blanc.

Peu importe que votre candidat gagne ou pas (même si cela fait toujours plaisir d’avoir soutenu le bon cheval, mais sans aller à la soupe), ce qui est substantiel, c’est que le poids de ses idées apparaisse sur la place publique et que vos convictions aient été exprimées, partagées, débattues.

Et n’oublions pas que la présidentielle, ce n’est qu’une élection, la plus importante intervient après, avec les législatives, et à nouveau, cette conviction qui doit être au premier chef :  le poids des uns et des autres au premier tour déterminera certaines dynamiques ou stratégie…  Avec une autre vérité institutionnelle sur la 5ème république, un président sans chambre est aussi nu que le roi…

Mais au-delà de l’actualité des élections législatives et présidentielles, la question de l’utilité, du poids de chacun, se résout dans le réinvestissement de la démocratie et le ré enchantement de la politique dans le quotidien, en étant citoyen 24 heures sur 24, en toutes circonstances. Dans les choix et les actions de tous les jours, il y a des promesses plus ou moins grandes de changement et de reprise en main collective du destin. Relocaliser et raccourcir le rayon de ses intérêts, non pas en défiance des autres, parce que l’échange, le contact, la coopération avec d’autres contrées est primordial mais en renouant avec une localisation des intérêts, de la production et de la consommation, on fait autant de bien à la terre qu’à soi. C’est faire l’expérience d’une vie à taille humaine en quelque sorte, qui est une aspiration bien plus profonde de l’humanité que les promesses d’une vie de papier glacé entre deux aéroports que l’on nous vend encore et encore. Ça n’empêche pas de vouloir découvrir le monde, mais surement différemment : on devrait tous bénéficier d’un crédit de congés longs pour pouvoir parcourir le monde au rythme d’un voilier et d’un train hors d’âge, en prenant le temps et un bilan carbone raisonnable…

Le vote utile, c’est, dans sa vie de tous les jours qu’on peut le pratiquer : au travers de sa consommation, qui peut dès lors influer sur la relocalisation du travail et de la richesse à partager, dans l’appropriation collective des projets, actions et économie, par la réintroduction de la citoyenneté au cœur des discussions des politiques publiques et privées. Celle-ci a fait l’objet d’un appauvrissement pour lui substituer la qualité de consommateur, avec les dégâts que l’on connait : il est grand temps de remettre du poids sur l’autre plateau de la balance.

Tout cela demande du courage, du travail, de l’abnégation et de se retrousser ensemble les manches : dans quelques semaines, savoir résister aux sirènes de la culpabilisation et du vote utile. Au quotidien, résistez à la consommation irréfléchie et à la démagogie des simplifications et des discours prêts à penser. Disons-le, c’est un combat difficile. Parce que  ne pas tomber dans la facilité et la paresse intellectuelle représente une gageure. Et pourtant, il y a tant à y gagner : recouvrer du sens, une transcendance sur la foi en l’avenir. Non pas d’un royaume céleste, mais bien de construire un paradis terrestre (d’accord, l’image est un peu forte, mais parlante). Cette question du sens, nous y courrons après, c’est peut-être ce qui fait le moteur et le malheur de l’humanité, dans une sorte de pas de deux. Mais elle est au cœur des enjeux actuels : quel monde je veux pour moi, pour les autres, pour ceux qui me succéderont. Y répondre, c’est donner forme à la pensée et aux actions qui nous conduisent. Après tout, l’utilité, c’est le sens que l’on met à ses actes…

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