Pensées magiques, magie blanche, magie noire et...pragmatisme (03/03/2018)
Abracadabra, transforme-toi, clignement rapide des yeux et coup de baguette magique, Harry Potter existe, nous l’avons tous été (même si pour certains, c’est indéniable, c’est Voldemort qui est depuis longtemps la source d’inspiration). Enfants, nous avons tous des super pouvoirs, la réalité et l’imagination n’ont pas encore une frontière bien marquée entre elles et il suffit de fermer les yeux et penser très fort à quelque chose pour que l’évènement se produise, CQFD. Tout est possible ou presque, sans pour autant se leurrer sur le caractère aléatoire de la pensée magique : les enfants sont moins crédules que les adultes en définitive, c’est la fameuse distinction du on ferait comme si par rapport au bien trop souvent entendu, je ne vois pas d’autres solutions. A la décharge des petits d’hommes qui ont grandi, le sérieux que nécessite la vie d’adulte conduit la plupart des individus à mettre dans un coffre fermé à double tour cette capacité d’émerveillement inépuisable et ainsi disparait la pensée magique de nos quotidiens. Ou du moins le croit-on, dans un monde désacralisé, de la raison pure et du pragmatisme comme crédo.
La pensée magique est pourtant celle qui nous fait gratter un jeu de hasard avec une pièce fétiche, cette dernière investie d’un pouvoir particulier que nous lui attribuons, qui lui permettrait de découvrir des jeux gagnants quand une autre pièce ne ferait apparaître que le mot perdu, cette pensée magique nous inscrit également dans des rituels sans fondements scientifiques mais dont nous pensons que le non-respect fera capoter la journée. C’est le domaine des superstitions, des grigris et autres béquilles surnaturelles. Elle ne serait cantonnée qu’au domaine privé, intime et irrationnel de la société. La civilisation actuelle serait basée sur la raison et depuis quelques décennies maintenant, le pragmatisme, la voie centrale, le sens unique. Le pragmatisme étant cette science du sérieux, car qui se déclare pragmatique a forcément raison, puisque le pragmatisme est ce prétendu rapport au terre à terre, à la seule solution possible, médiane par principe et loin de tout courant de pensée : soit par inaptitude à penser le monde autrement qu’en suivant la meute soit par volonté de maquiller et de travestir une pensée qui voit le monde avec des idées précises mais qui en avançant démasquée serait rapidement mise sur la touche. Mais derrière ce pragmatisme triomphant, ce que nous retrouvons pour beaucoup c’est…de la pensée magique…
Croire dur comme fer que l’histoire n’a qu’un sens dans sa construction future, croyance répétée ad nauseam dans l’alignement d’arguments frappants mais vide de sens n’est rien d’autre…que de la pensée magique qui se pare d’une pédagogie de la répétition pour paraitre moins indigeste…
La pensée magique s’exprime le plus souvent par des formules précises, un charabia entre Hocus Pocus et novlangue barbare. Entre des formules d’alchimistes, un credo religieux, des paroles enfantines et les poncifs du management moderne, il y a plus de similitudes qu’il n’y parait de prime abord.
Il faut tout d’abord marquer la pensée magique d’une forme d’ésotérisme : plus le vocabulaire est abscons et inconnu, mieux c’est, il ne faut pas mettre de sens dans ce qui est énoncé. Auparavant, il convenait de latiniser les formules en ajoutant le suffixe -us, désormais, c’est dans le vocabulaire anglo-saxon que les sources d’inspiration sont puisées ou bien dans l’euphémisation de certains mots (la solidarité, dont le rapport s’inverse) ou encore qualifier d’un adjectif totalement inadéquat un terme, comme de nos jours l’agilité : peu importe que vous soyez un chômeur, un loser ou tout autre chose, si vous êtes agile comme un singe, la société vous jettera bien quelques cacahuètes. Au-delà du franglisme et de l’euphémisation, la pensée magique s’exprime par les chiffres : il faut littéralement assommer l’autre d’une suite de chiffres dont le fondement n’est pas tellement la vérité mais l’étaiement du reste de la formule, car ce n’est pas la réalité qui produit les chiffres mais bien le contraire, les chiffres façonnent de la réalité.
La conséquence de ce qui a été précédemment présenté, c’est qu’il faut donner le meilleur de soi-même pour convaincre les autres la véracité de ce que l’on énonce, à la limite d’être soi-même convaincu (à la limite, parce que seuls les imbéciles croient véritablement aux fadaises qu’ils éructent, les autres n’oublient pas qu’ils ont une finalité différente à défendre). C’est un art que de regarder quelqu’un dans les yeux ou face caméra en se drapant de la posture de la réalité intangible et inattaquable ! Si vous l’enrobez dans un grand tout, vous touchez le gros lot.
La pensée magique a besoin de récits : les histoires font l’Histoire. Comme dans les contes, la pensée magique est un joyau à mettre dans un écrin de charabia clinquant. Il faut tisser patiemment un univers, en faire la démonstration, répéter jusqu’à ce que mort intellectuelle s’en suive cette démonstration pour qu’elle entre dans les esprits, qu’elle devienne une réalité tangible. La leçon à en tirer est que la pensée magique demande de l’investissement à celui qui l’utilise : on ne devient pas magicien en une journée, c’est un métier ma bonne dame, qui s’apprend de nos jours dans des écoles de commerce et autre MBA : tout étant un produit, l’aptitude à vendre du sable à un bédouin est une qualité fort recherchée de nos jours, les hommes d’Etat sont désormais des représentants de commerce de classe internationale.
Ce qui ne veut pas dire que la pensée magique est à jeter avec l’eau du bain néo-libérale. La société toute entière repose sur la pensée magique, sur la croyance dans des représentations construites et qui nous paraissent aussi réelles que naturelles. La monnaie, l’autorité, l’Etat, le marché, la famille, tout cela constitue des constructions qui n’existent que parce que nous y croyons : nos croyances sont la clé de voute de nos sociétés. Comme le héros de dessins animé au-dessus d’un précipice, tant que l’on ne regarde pas en bas, nous oublions qu’il n’y a que du vide sous nos pieds et nous pouvons continuer à marcher et courir au-dessus du précipice. Imaginons qu’un matin les effets de la pensée magique soient abolis, il ne resterait pas grand-chose de nos sociétés parce qu’au fond, quelle autorité détient réellement une institution, si ce n’est celle qu’on lui prête ? Quelles réelles valeurs ont un bout de papier ou un ordre de virement électronique si ce n’est celles que nous leur accordons collectivement. Tout est une question de confiance et de foi : il faut renforcer ou a minima conserver la confiance, c’est ce à quoi s’emploient les gouvernants de ce monde, entre logorrhée médiatique proche du pilonnage et menaces de fin du monde en cas de contestation. Le monopole des représentations du monde est l’enjeu central du pouvoir : hégémonie culturelle, idéologie, tout cela est au cœur des luttes d’hier, d’aujourd’hui et de demain, avec peut-être une différence de nos jours : empêcher que ne constituent d’autres représentations du monde.
Aussi, il n’y a pas de secrets : contre la magie noire, seule la magie blanche opère. Autrement dit, pour lutter contre certaines pensées magiques, la rationalité pure et simple ne suffira pas seule (et d’ailleurs quelle est t’elle cette rationalité), elle doit être accompagnée d'une bonne dose de pensée magique. Réenchanter le monde, avec des récits, des croyances et de nouvelles institutions en lesquelles croire.
La mythologie, loin de n’être qu’affabulation, construit de la réalité. Il n’est qu’a voir comment les récits divers et variés d’aujourd’hui font sens pour ceux qui les regardent...comme ceux d’hier nous parlent encore. Nous avons besoin de la pensée magique aussi surement que nos anciens se nourrissaient de mythologies, de mythes divers et variés : nos super-héros de comics, nos trilogies de heroic-fantasy, nos séries de conquête du trône ne sont rien d’autre qu’une variation autour du même thème. Le besoin de s’appuyer sur des croyances pour affronter plus surement la réalité, la façonner à notre goût. Il manque un ingrédient, c’est de permettre à ceux qui sont spectateurs de ces récits d’imaginer qu’ils puissent en être les acteurs…si simple, si difficile.
Pour changer le monde, plus que jamais il nous faut des baguettes magiques et des conteurs d’histoire… Plus qu’une logorrhée théorique incompréhensible, il faut des prêches, des paraboles, des récits qui emportent. Si le film Demain a connu un véritable succès, c’est parce qu’il a su intégrer cette rhétorique du récit, de l’exemple qui parle aux uns et aux autres. Il a mis un peu de pensée magique dans ce monde triste, sombre et en déperdition.
Alors reprenons un coup de baguette magique, mais de magie blanche…
18:20 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : magie, pensées, idéologies, loteries, sorciers, neoliberalisme | | Facebook | |