La boite de pandore ou ce que nous pourrions écrire dans quelques années (ou mois ou jours)… (11/04/2011)
C’est presque trop tard. Il va être difficile de revenir en arrière, d’un seul coup d’un seul. Les mots ont dérapé. La boite de Pandore est ouverte, elle ne se refermera pas de sitôt. La peur, le rejet de l’autre, la lâcheté, la dénonciation se sont installés dans les esprits. Quelques-uns ont bien tenté de nager à contre courant, jouant les cassandres pour avertir des dangers qui guettaient la société si celle-ci laissait passer les mots de la haine. Mais les temps n’étaient pas propices à un tel discours.
La fin de la repentance, la liberté de parole étaient revendiquées en reprenant pour mieux le détourner un vieux slogan libertaire, il est interdit d’interdire, du moins en paroles. Le verbe décomplexé qu’ils disaient.
Cette libération de la parole a aujourd’hui un coût exorbitant, plus personne n’ose parler. Le silence est devenu la meilleure des protections. Sauf à répéter le discours officiel, qui donne du monde une explication simpliste, où aucun n’est responsable mais l’autre est toujours coupable. Cette doxa passe en boucle, martelée en tous lieux et tous temps, amplifiant encore un peu plus la chape de plomb qui s’est installée sur le pays.
Pour être honnête, le mécanisme est plus insidieux. La chape de plomb ressemble plus à un abrutissement général généré par une production destinée à rendre le genre humain plus con qu’il ne peut être, à lui ôter tout esprit critique. Du pain et des jeux dans une version moderne. C’est dans les jeux que les élites maitrisent le mieux leur sujet. Du sport, de la téléréalité, du rêve en boite statistiquement dosé pour donner à penser que la chance existe. Et si par malheur la conscience se réveille, parce que la soupe est rare ou que l’esprit se rebelle, quelques documentaires bien dosés stigmatisent tels ou tels individus pour exciter la haine qui s’effrite. Un jour le pas pareil est un voleur de poules, le lendemain une horde conquérante à l’assaut des verts pâturages, avec un trait commun, c’est toujours lui est qui la mère de tous les échecs et les ratés. En élargissant le cercle des montrés du doigt au gré des besoins de la propagande et du stock disponible de métèques et autres pas comme les autres que les chefs.
Des images, des reportages, du lavage de cerveau il en faut des quantités extraordinaires. Une production industrielle confiée à quelques producteurs et scénaristes trop contents de percer alors que le tampon estampillé raté aurait du les marquer autrement.
Ce n’est jamais un personnage seul qui fait l’Histoire, il a besoin d’alliés, d’une armée qui tente un pari sur un cheval en espérant ramasser la mise en cas de succès. Le parti de la haine est un aimant pour tous ceux qui considèrent, à tort ou à raison, que la vie ne leur a pas octroyé le juste du qu’ils méritaient. Et qu’ils méritent un retour sur investissement.
Le discours simpliste est fait pour eux. L’explication des difficultés individuelles, par le seul fait d’un bouc émissaire, permet de détourner l’attention sur la complexité et la myriade de raisons qui font qu’un destin est ce qu’il est en omettant de mentionner le ou les responsables réels. Parmi ceux qu’il aspire, le pari de la haine utilise des personnages qui justement pensaient pouvoir l’utiliser, s’en servir, tout en espérant le maitriser et le jeter aux orties le moment venu. Stratégie naïve, la créature s’échappe toujours des mains de son maitre, et le plus souvent se retourne contre son créateur. Une fois lancée dans la nature elle vit sa propre existence. Celui qui stigmatise peut devenir à son tour le stigmatisé.
Une partie de l’élite se fourvoie en dépit des leçons de l’histoire. A force de se croire unique, on en oublie qu’on reste humain. Avec ses limites et sans maitriser réellement ce que l’on manipule. L’intelligence n’est pas inversement proportionnelle à la connerie. Au contraire, elle rend cette dernière plus dangereuse, parce qu’elle lui ouvre des horizons insoupçonnées.
Ces horizons, c’est le contenu de boite de pandore qui est ouverte. Celle de toutes les lâchetés humaines, de ce que l’âme a de plus sombre. L’absence de responsabilité et d’empathie à l’égard de l’autre, la haine, l’irresponsabilité individuelle, la négation de la personnalité de celui qui n’est pas ce qu’il voudrait qu’il soit.
Forcément, on pense se sentir mieux ainsi. Le monde est plus simple à expliquer. Les instincts grégaires sont caressés dans le sens du poil et en appartenant à cette majorité braillarde, l’individu ressent le parfum agréable bien que très artificiel d’être de ceux qui ont raison. En propulsant le parti de la haine, ils en sont un peu les participants de son succès.
Ce qu’ils savent moins, c’est que le premier cercle des dirigeants de l’empire du mal s’en fout comme de sa première chemise du péquin qui vote pour lui. Il en a besoin pour prendre ou conserver le pouvoir. Pour le reste, c’est comme un mouchoir en papier, après utilisation et perte de l’utilité, on jette. Seules la force de travail et la qualité de consommateur importent. Une fois le poison diffusé dans le corps social, une fois que l’électorat s’est jeté dans les bras tentaculaires de la peste brune, les nouveaux gouvernants prennent rapidement leur distance avec le système électif qui les a portés au pouvoir, pour le conserver. Pas forcément une dictature qui porte son nom, mais un éventail de techniques permettant de garder la haute main sur la victoire électoral. Après tout, l’Iran, la Chine et la Tunisie sous Ben Ali connaissent ou connaissaient la fièvre des soirées électorales. Il est seulement nécessaire de maitriser qui se présente, qui vote et surtout qui compte et proclame les résultats. Ça peut même faire plaisir à l’égo de voir son nom affiché avec un score de 80 % de suffrages en sa faveur. Qui n’a pas enfant, rêvé d’être acclamé au sein de la cour, même au prix de quelques clés de bras bien intentionnés, pour rappeler qui est le bon candidat. Bon d’accord, ni moi, ni vous, mais l’amicale des dictateurs et autres fachos démontrent que ce cas n’est pas si rare.
La boite est ouverte, les maux se sont échappés. Il sera plus long de les rattraper que de les relâcher dans la nature. Le vivre ensemble c’est une construction patiente, quotidienne. La haine, c’est une facilité. Dans une société où tout doit répondre au claquement de doigts, la facilité est reine. Détrônons-là, abattons son régime. Pour refermer la boîte.
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