La bataille des tweets ou comment l’algorithme m’a tué (14/05/2017)
Dans quelques années, quand assez d’eau, pleurs de joie ou de tristesse, aura coulé sous les ponts de l’histoire, nous nous remémorerons la présidentielle 2017 en nous souvenant que cette élection a été celle d’une transformation radicale dans le rapport à l’information et d’une bataille sans commune mesure avec les élections précédentes en matière de communication. L’information a fait cette élection comme rarement une élection a été construite, vendue. Au-delà du cadre classique partidaire qui a volé en éclat, acmé d’un processus entamé il y a déjà de nombreuses années, c’est bien la place des médias, de tous les médias qui a été au cœur de la lutte pour la conquête du pouvoir, l’ère de l’information, fausse ou vraie, sans que la distinction pour certains ne représente un critère de qualité. Cette information a eu l’étonnant pouvoir de cristalliser les positions au point que rarement les camps, multiples, ont été loin dans l’invective et rapide dans l’atteinte du point Godwin. Les destins ont été faits ou défaits par un pilonnage sans fin ou à l’opposé une simple phrase reprise en boucle et en chaîne par des médias sociaux trop rapides pour les cellules de gestion de crise. De même, une différence est vite apparue entre ceux qui avaient leurs entrées médiatiques et les autres : la possibilité d’une victoire ou la candidature de témoignage.
La bataille de l’information a été capitale, à plusieurs titres. Emmanuel Macron a ainsi été mis sur orbite depuis déjà quelques mois avec une occupation de l’espace médiatique qui en a fait sa coqueluche, l’adoubant de l’étiquette positive de l’anti-système venu de nulle part, mais ayant ses entrées partout. Un rond de serviette médiatique bien utile pour faire décoller une campagne… Au point que les couvertures d’il y a un an de nombreux hebdomadaires le représentaient en photo avec ce titre Si c’était lui ?, couvertures à peine modifiées un an plus tard, avec comme titre lapidaire, c’est lui ! Contradiction relevée mais qui n’a pas empêché de faire passer un déjà roublard de la politique (le quinquennat Hollande, c’est aussi et déjà un quinquennat Macron) pour un perdreau de l’année. Toujours sur le registre anti-système, le jeu du je t’aime moi non plus entre les médias et le Front National : pas une journée sans que le FN n’apparaisse sur les ondes pour expliquer en quoi il n’a pas accès aux médias… Phénomène médiatique, le FN est un bon client jusqu’à l’affrontement final : mieux, il permet un suspense haletant dans la course à la présidentielle, un storytelling qui fait vendre du papier mais se terminera mal le jour où la bête couvée se retournera contre ceux qui l’ont faite.
La presse, c’est aussi celle qui plus noblement, mais avec toujours plus de difficultés, poursuit sa mission d’investigation et d’information du public. F. Fillon en a fait l’amère expérience, lui le paragon de la vertu, du travail et de l’honnêteté, pris la main dans le pot de miel, mais d’autres encore comme la mise en lumière, plus que la mise à jour, déjà faite, du système Le Pen/FN.
C’est aussi le fact checking, pour éprouver et révéler les arrangements à la réalité et les gros mensonges de quelques-uns de nos éminents candidats à la présidentielle et de leurs équipes. Certes, « en politique, ce qui est cru est plus important que ce qui est vrai » pour reprendre Talleyrand, et les mensonges, une fois balancés, gagnent une existence que l’argumentation pour les dénoncer n’arrive pas toujours à annuler complétement. Durant cette campagne, un jeu du chat et de la souris s’est fait jour, où la rapidité de la transmission des informations doit permettre d’éviter de laisser le temps de les vérifier. Mais les alternative facts si chers à Donald Trump sont devenus un phénomène prenant une ampleur et une profondeur qui ne peuvent que nous inquiéter.
Un Mélenchon a fait un autre pari, celui d’une communication travaillée par et pour les réseaux sociaux, compensant par ces médias de moins en moins alternatifs un handicap d’accès aux médias traditionnels. La chose n’est pas anodine et devrait se multiplier dans tous les camps lors des prochaines échéances.
Si la diffusion de l’imprimerie a permis une première révolution, celle de la démocratisation de l’information et que la révolution numérique en cours parait démultiplier la première invention de l’imprimerie, il apparaît néanmoins que les informations et les connaissances disponibles ne permettent plus à un esprit humain de digérer le flot de données. Pire, les algorithmes, censés nous rendre la vie plus belle, nous conduisent à une impasse par certains aspects, celui de nous conforter dans nos croyances en sélectionnant plus particulièrement les champs d’intérêts que nous exprimons, au point que nous ne prenons plus la peine de connaître le point de vue des autres. La rencontre des idées, le débat ont aujourd’hui les espaces existants, mais l’avalanche d’information et les algorithmes annulent les effets positifs d’une telle révolution, tuant dans l’œuf une promesse de pluralisme que permettrait la facilité de diffusion de l’expression par le support numérique.
Que ce soit en Europe, aux Etats-unis ou dans d’autres coins du monde, la société de l’information totale présente les deux faces de la médaille du progrès : un vrai levier et potentiel de changement et une dérive aux conséquences mortifères.
La bataille des années à venir sera de permettre à tout un chacun de bénéficier d’une éducation à l’accès à l’information, pour permettre d’aiguiser un sens critique, aiguillon nécessaire de la construction raisonnée d’une opinion. C’est une nécessité sous peine de se retrouver dans un alternative world submergé par les alternative facts.
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