Dans quelques années, quand assez d’eau, pleurs de joie ou de tristesse, aura coulé sous les ponts de l’histoire, nous nous remémorerons la présidentielle 2017 en nous souvenant que cette élection a été celle d’une transformation radicale dans le rapport à l’information et d’une bataille sans commune mesure avec les élections précédentes en matière de communication. L’information a fait cette élection comme rarement une élection a été construite, vendue. Au-delà du cadre classique partidaire qui a volé en éclat, acmé d’un processus entamé il y a déjà de nombreuses années, c’est bien la place des médias, de tous les médias qui a été au cœur de la lutte pour la conquête du pouvoir, l’ère de l’information, fausse ou vraie, sans que la distinction pour certains ne représente un critère de qualité. Cette information a eu l’étonnant pouvoir de cristalliser les positions au point que rarement les camps, multiples, ont été loin dans l’invective et rapide dans l’atteinte du point Godwin. Les destins ont été faits ou défaits par un pilonnage sans fin ou à l’opposé une simple phrase reprise en boucle et en chaîne par des médias sociaux trop rapides pour les cellules de gestion de crise. De même, une différence est vite apparue entre ceux qui avaient leurs entrées médiatiques et les autres : la possibilité d’une victoire ou la candidature de témoignage.
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La bataille des tweets ou comment l’algorithme m’a tué
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D'un mur à l'autre...
Alors, tu vas faire quoi pour le deuxième tour ? Tu sauves la république ou t’es un fasciste ? Euh, je vote pas Le Pen moi… Oui enfin si tu ne vas pas voter, si tu votes blanc, c’est comme si tu votais Le Pen et donc d’extrême droite… ah d’accord tu me culpabilises en atteignant le point Godwin d’entrée… Cette conversation, pour imaginaire qu’elle soit, est pourtant un des buzz de l’entre-deux tours et reflète un état d’esprit où de bons républicains bien sous tous rapports en viennent non plus tant à se battre directement pour convaincre les électeurs lepénistes de ne pas voter le Pen qu’à insulter ceux qui partagent leurs valeurs parce qu’ils n’ont pas crié sur la place publique un ralliement immédiat et inconditionnel au bulletin Macron. Le monde à l’envers, aux effets contre-productifs : la culpabilisation de 2002 ne pourra pas opérer à nouveau, trop de renoncements sont passés sous les ponts…
A une semaine du deuxième tour de l’élection présidentielle qui verra s’affronter le candidat du mur de la finance à la candidate du mur de la haine, rester l’arme au pied, un bulletin blanc entre les mains, dans une attitude de pureté principielle est difficilement tenable. Face à l’urgence et à la dangerosité du programme et de la dynamique de l’extrême droite, la recomposition accélérée de celle-ci qui agrège une frange tous les jours plus importantes de la droite extrême, la seule mesure à court terme est de glisser, sans entrain, avec une boule aux ventres et mille réserves un bulletin Macron lors du deuxième tour. Avec toute la réserve à exprimer, parce qu’en effet, Emmanuel Macron, qui n’a réuni qu’un peu moins d’un cinquième du corps électoral sur son nom, fait comme si sa victoire pipée par le contexte particulier du deuxième tour était celle de son programme et de ses idées. Une fois Marine Le Pen écartée, la deuxième phase du second tour sera de neutraliser le pouvoir d’Emmanuel Macron : l’un des thuriféraires de la politique économique libérale et antisociale du quinquennat qui s’achève, terreau de la poursuite du développement de l’extrême droite, ne doit pas gouverner. Présider oui, gouverner, non. Le véritable combat sera celui des élections législatives.
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Diarrhée mentale
Les temps sont à la confusion. Les repères s’évanouissent, le temps file à toute vitesse et l’instabilité est de mise. Pas étonnant que nous puissions avoir la gerbe dans ces conditions.
Ce qui était vrai hier ne l’est plus forcément, tout particulièrement dans le choix politique. Avant les choses étaient simples : le riche votait pour ceux qui lui promettaient de le rester, le pauvre pour ceux qui lui promettaient de ne plus l’être, les fachos détestaient tout le monde et les valeurs avaient un je ne sais quoi de naphtaline.
Mais aujourd’hui, pas une personne ne retrouve sa droite de sa gauche, son extrémiste de son centriste, c’est la chienlit comme dirait l’autre, qui à sa manière avait déjà commencé ce brouillage des cartes mentales.
Résumons-nous, des homos chez les fachos (il faut toujours quelques idiots utiles pour donner l’illusion du changement), des socialos libéraux, des libéraux nationaux, des qui disent ça mais qui pensent le contraire, des qui pensent pas mais qui veulent faire croire que quand même un peu si, et puis tout le reste qui ne sait plus quoi penser de tout ça. C’est moche.
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Tant va la cruche (de droite) à l'eau...
A force de vouloir caresser la connerie humaine dans le sens du poil, elle se sent conforté. Et passe à l’acte. C’est ce qui est en train d’arriver dans le beau pays de mon enfance, douce France, pauvre France. La fifille à papa le Pen grimpe dans les sondages à la manière d’un Pantani ou d’un Amstrong dans le col du Tourmalet, dopée par un populisme nauséabond manié par une droite décomplexée mais surtout inconsciente de la boite de pandore qu’elle s’évertue à ouvrir encore et toujours.
Le dernier sondage paru qui place Marine le Pen en tête du premier tour démontre s’il en était besoin que manipuler l’opinion par un populisme déformant et stigmatisant, profite à l’extrême droite. Seulement et simplement.
La droite ne peut se satisfaire d’un résultat mettant son poulain en deuxième position au premier tour pour tenter de rafler la mise au second, pariant sur la défaite de la gauche au premier tour comme en 2002. Au-delà d’une morale douteuse, c’est jouer avec le feu fascisant que de prendre une telle option. Sarkozy n’est pas Chirac, il n’est pas assuré que l’électorat de gauche glisse aussi facilement un bulletin pour le Président à talonnettes. Et Marine n’est pas Jean-Marie. Moins épouvantail, plus lissée, elle apparaît aux yeux d’une partie de l’électorat comme une alternative. La gueule de bois pourrait être terrible en mai 2012.
35 ans de lepénisation des esprits nous contemplent, la moindre étincelle est susceptible d’y mettre le feu.
Que faire alors ? La gauche doit ramener le débat sur le terrain du partage de la richesse, de l’emploi et du logement, en arrêtant de se regarder le nombril des primaires et des grandes manœuvres des états-majors politiques. Et la droite ? Arrêter tout de suite ses liaisons dangereuses avec le logiciel du Front National, et accepter qu’elle puisse perdre sur un terrain républicain en terme d’idées, sans faire appel au ressort de la bêtise humaine. Dans les deux cas, il reste pas mal de chemin à faire.