Quand le gouvernement pointe du doigt un prétendu séparatisme ethnique ou religieux, il tente de faire oublier que c’est un autre séparatisme qui guette la société avec la gestion de la crise sanitaire. Celui du séparatisme générationnel.
Une société est à l’arrêt, confinée, les libertés congelées aussi surement que le vaccin Pfizer, sans débat sur les mesures à prendre : une sanction collective pour protéger une frange de la population, les plus fragiles et les plus anciens. Il serait difficile et fort peu humain de les isoler, eux et seulement eux. Mais la société dans son ensemble est en train de perdre sens et de sacrifier l’avenir pour préserver des générations qui ont pour beaucoup déjà participé à obérer les chances pour les générations présentes et futures de connaître un avenir radieux.
Le débat est nécessaire pour trouver l’équilibre dans les mesures à prendre : quand le remède devient à terme pire que la maladie elle-même, il faut arrêter de s’entêter et réinterroger la stratégie !
Mais la préférence pour le présent emporte des biais non négligeables. Comme celui de ne plus savoir ou ne pas vouloir peser la balance des bénéfices et des risques. Combien de vies sacrifiées à terme pour en préserver un nombre déterminé aujourd’hui, combien d’années de perte de vies et de pertes de chances provoquées par les confinements et la crise économique sur les générations les plus jeunes ? Nous sommes en plein dans le dilemme du tramway où une personne peut effectuer un geste qui bénéficiera à un groupe de personnes A, mais, ce faisant, nuira à un groupe de personne B ; est-il moral de faire un tel choix, et surtout quelle est la bonne solution ?
Ce dilemme du tramway, c’est notre société face à la crise sanitaire. Quelles sont les personnes que nous condamnons, quelles sont celles que nous sauvons. Mais ce débat n’a pas lieu. La culpabilisation est tout de suite mise en avant, la culpabilisation sur l’effet présent, en occultant les conséquences futures des choix arrêtés aujourd’hui.
Il serait intéressant de dire que cette crise aura un cout, social, humain, financier… que son traitement en a un et qu’il faudra finir par régler l’ardoise. C’est maintenant et pas une fois la crise passée que ce débat de fond doit avoir lieu, débat sur qui paie et paiera les pots cassés ? Les prêteurs, les entreprises, les particuliers, les riches ou les pauvres, les petits ou les gros et dans quelle proportion ?
Depuis le début de la crise sanitaire, le chômage explose, la pauvreté grimpe en flèche, le mal-être devient un état permanent et la dette nationale s’est alourdie de près de 200 milliards d’€ et le compteur tourne encore : quand l’écrasante majorité des personnes à risques qui sont l’objectif de protection de ces mesures de confinement seront décédées, il restera les victimes réelles de la crise pour payer la douloureuse, financièrement, socialement et mentalement.
Il est d’ailleurs étonnant que les générations de 20 à 50-60 ans ne se soient pas déjà soulevées, en mode séparatisme générationnel. Elles auraient toutes les raisons de le faire quand on voit le poids des dettes contractées par les boomers pour leur mode de vie que les générations plus jeunes ont à supporter : réformes des retraites, catastrophes écologiques, réduction de la fiscalité au profit de la rente et du capitalisme financier.
Dans la gestion de cette crise sanitaire, l'idée n’étant pas d’éradiquer le virus mais bien de ralentir sa progression pour ne pas mettre le système de santé en rupture, c’est bien le ciblage des cas les plus problématiques qui devrait être à l’ordre du jour. Oui mais ça touche aussi des jeunes se voit-on rétorquer immédiatement. Oui mais un jeune de moins de 60 ans qui meurt c’est une tragédie au milieu de de la forêt des statistiques tenaces qui font de l’âge et des comorbidités la majeure partie des cas problématiques. En cachant par ailleurs les effets mortifères à terme sur ces mêmes jeunes, de l’absence de repères, des études sacrifiées, du chômage de masse…
Le débat sur la crise sanitaire est urgent, à défaut de quoi le pacte social ne pourra qu’exploser en vol. Peut être choisirons nous de protéger les plus anciens et les plus fragiles, au détriment des générations présentes et à venir. Mais c’est à nous, collectivement qu’il appartient de faire ce choix, jeunes, moins jeunes et anciens.
Commentaires
Le point de vue est intéressant, et le parallèle avec le dilemme du tramway l'est aussi.
Néanmoins, il pose plusieurs problèmes.
Déjà, le poncif qui voudrait que tous les problèmes viennent de la génération des boomers (je n'en fait pas partie, étant né au tout début des années 80, je tiens à le préciser). En réalité, le problème ne vient pas d'eux ; de façon générale, ce ne sont pas eux les hyper consommateurs, mais plutôt les générations suivantes. Ce ne sont pas eux qui polluent, prennent l'avion, ont des objets connectés énergivores à ne plus savoir qu'en faire, consomment de la viande à ne plus savoir qu'en faire. Ce ne sont même pas eux qui produisent ces produits. Ce sont "nous". Nous tous, qui avons moins de 60 ans. Notre empreinte carbone n'a jamais été aussi importante. Et _même_ si c'était la faute des boomers, "nous" ne faisons rien pour changer les choses, à part des mesurettes sans effet. Pire encore, nous avons, nous, génération Y et Z, acquis une formidable capacité à rendre plus polluantes encore chacune des mesurettes qui ont été prises...
Concernant plus spécifiquement la crise sanitaire, le problème n'est pas qu'un problème de sauvegarde des aînés. Le problème est de deux natures :
- la saturation ou non des services de santé (parce que décider de ne pas protéger les personnes fragiles du virus est un problèmes, mais décider de ne plus les soigner est une autre question - et le serment d'Hippocrate ne permet pas de poser la question dans ces termes)
- le risque que la profusion du virus ne crée un variant beaucoup plus virulent qui touche tous les âges ; or plus le virus circule, plus il a de chances de muter, plus la mutation a de chances de se propager
Le problème de la dette est un faux problème, en réalité ; personne n'a d'intérêt à ce que la dette issue du Covid ne reste, et l'annuler unilatéralement (voire bilatéralement avec le consentement des prêteurs - vu qu'on a beaucoup emprunté à taux négatifs) pourrait arranger beaucoup de monde.
Le problème de l'isolement est, par contre, un réel souci, et il faut y trouver des solutions qui puissent être compatibles avec les contraintes sanitaires (en particulier, je suis pour avoir un assouplissement général des règles sanitaires, mais des quinzaines de confinement fixes hyper strictes [à un niveau même supérieur au premier confinement] tous les 3 mois... le fait de les rendre fixes permet d'anticiper la situation au niveau logistique et professionnel).