Je suis ce que l’on peut appeler un vulgaire quidam. Mais sans permis. De conduire j’entends. Par la force des choses je me trouve condamné à rejoindre mon bureau ou tout autre lieu en métro. Ce qui n’est pas possible partout mais se trouve être un choix pour ne pas dire une obligation lorsque l’on vit comme moi à Paris. Transporté ainsi en commun, je peux ainsi côtoyer mes égaux, le menu peuple, celui qui sent le travail de la tête et des jambes tout aussi bien que le déodorant bon marché. Dans mon malheur, je partage ma rame avec des voyageurs qui en mettent. Du déodorant. Pas comme dans ces premiers wagons de cinq heures du matin. Dans ceux là, c’est le peuple le plus laborieux qui revient d’un travail malodorant et qui fait suer que l’on croise. Heureusement, mes narines sont habituées à cette odeur aigre, qui se transforme en rance à mesure que le temps fait son œuvre au cours de la journée. C’est seulement après les vacances ou encore après un gros rhume que l’indélicat et repoussant fumé du métro me donne la nausée. L’odeur est une caractéristique de ce monde souterrain, odeurs corporelles, odeurs d’urine le long des couloirs, plus rarement dans les rames, ou encore sensations olfactives déclenchées par le brulé d’un freinage brusque. Du nauséabond duquel s’échappe parfois une délicate fragrance. C’est d’ailleurs toujours une enivrante et agréable surprise que de sentir le doux parfum d’une personne, en particulier d’une jeune femme, dont les cheveux longs viennent m’asticoter les narines. Lorsque cela arrive, je sais que ma journée sera bonne. Ou je me prends à le croire. Au contraire, imaginez mon état d’esprit lorsque je me retrouve, en plein mois de juillet caniculaire, vers dix sept heures, le nez plongé dans l’aisselle d’un touriste ayant arpenté tous les pavés de la capitale…
Autant que les odeurs, le bruit est présent dans cet univers, à en devenir oppressant. Comme si tous ces sons forçaient mes oreilles pour emplir mon cerveau. Bruit des pas cadencés et continus dans les couloirs, des conversations sur les quais et dans les rames, des roues contre les rails, grésillement des annonces de la RATP… A contrario, le silence quasi religieux qui peut s’installer en de rares occasions estivales en deviendrait dérangeant en même temps que précieux. Cette pollution sonore non sollicitée, je la combats par le mal même. Je recouvre mes tympans des écouteurs de mon MP3, que j’allume et qui envoie, au gré de mes humeurs, tantôt un peu de classique, tantôt la plus tarte des variétés. Je pose une frontière sonore avec le monde extérieur qui m’installe dans un confort ouaté individualiste et égoïste. Confort qui me permet de ne pas tomber chaque jour dans une rage folle en pensant au nihilisme de nos vies de labeur quotidien. Manger pour vivre, travailler pour manger, jouer aux sardines en boite pour travailler…une vie emplie de sens, sans conteste.
Le nez habitué aux odeurs, mes tympans protégés des agressions extérieures, reste le coude à coude, cette promiscuité étouffante, en particulier aux pires heures de pointe (mais y en a-t-il de bonnes). Comme si tous ces corps se liguaient contre moi pour me submerger. Et m’écraser.
Il ne fait pas bon être agoraphobe et hypocondriaque dans le métropolitain. Dans une immense orgie, les virus circulent de toux en rhumes, de nez qui coulent en mains à l’hygiène douteuse. Imaginons un microscope géant qui montrerait la faune et la flore invisible à l’œil nu qui se balade sur la barre centrale : la forêt tropicale en plein cœur de l’Europe. Heureusement, le cerveau humain a cette faculté de pouvoir laisser certaines questions de côté, pour pouvoir mieux avancer. Bref, je me vaccine chaque jour un peu plus, j’essaie par ci, par là, des souches que je ne connaissais pas. D’ailleurs, cela ne rate pas, dès que je pars en vacances, loin du tube, je ne me sens pas bien. L’air sain, ça rend malade, par manque d’ennemis. Cette promiscuité, c’est également la gymnastique de la sortie, qui se doit d’être préparée, sous peine de se retrouver le nez face à la porte qui se referme. Et qui vous amène une station trop loin. Ou deux si vous êtes vraiment dans le coton et en plein rush. Une gymnastique nécessaire, qui oblige à se contorsionner, à jouer des abdos et des épaules, en intégrant le volume des affaires et des sacs que l’on porte. Sans compter le calvaire lié à la condition paternelle dans le métro, lorsqu’il me faut entrer dans une rame avec une poussette. Une quasi-impossibilité physique de se frayer un chemin doublée d’une myriade de regards désapprobateurs lancée par l’ensemble du wagon. A l’exception de ceux qui partagent ma condition. Solidarité parentale oblige. Je me sens moins coupable ainsi. Même si je ne devrais pas éprouver ce sentiment. Après tout, le métro m’appartient tout autant qu’à eux non ?
Mais sur ce plan de la promiscuité, tout autant que le reste, j’arrive à faire abstraction de mes semblables. Ma bulle protectrice est bien solide. Certains jours, je ne vois quasiment plus les autres. Je suis seul dans la rame, mon MP3 vissé aux oreilles, un nouveau roman que je viens de dénicher, presque par hasard, et qui m’entraine aussi loin que nécessaire. Ces jours là, j’ai l’impression que le bonheur existe. C’est ce que je me dis intérieurement jusqu’à l’instant fatidique où un groupe de musiciens solitaires entre et souhaite me faire partager son incroyable talent. A la guitare, au violon ou à la beat box, des sons torturés sont accompagnés d’un chant discutable. Une méthode de torture éprouvée, qui bienheureusement reste assez rare. Il est même des chanteurs ambulants qui mettent du baume au cœur et vous accrochent un sourire aux lèvres, dans un cocktail assez précis de musiques sympas, de voix agréable et d’un soupçon d’humour. C’est d’ailleurs un des moments que je préfère dans le métro. Ces rares moments de communion quasi unanime d’un wagon entier, autour d’un intermède musical. Tout un chacun, à l’exception des quelques réfractaires réglementaires, se met à se balancer sur les airs qui emplissent jusqu’au moindre interstice, une bouffée de chaleur humaine dans un quotidien parfois morne. Je vois bien que certains se mettent à sourire, ce sera d’ailleurs peut être le seul de la journée. La complicité s’installe, entre l’artiste et son public. Le musicien pose une question, la foule répond à l’unisson et la mélodie repart de plus belle. Des regards de complicité sont jetés, de ci, de là. Comme une envie de crier par les yeux le bonheur de connaître et d’être de ce moment. A force de ne plus se regarder, les citadins ne se voient plus…enfin presque, le métro est un de ces rares endroits dans lequel existe ces brefs moments de communion intime entre de parfaits inconnus. Certains y verront une forme d’angélisme, j’essaie seulement de mettre un peu d’humanité dans mon quotidien.
Je sais que cela va provoquer quelques cris réprobateurs, mais j’espère secrètement que la grève s’installe, à l’occasion, pour une journée. Oui vous avez bien lu. Et je compatis à l’enfer que beaucoup vivent ces jours là. Mais pour ma part, c’est une journée où je peux arriver en retard au travail, en déambulant tranquillement dans les rues, en prenant mon temps. Il me suffit de dire la phrase magique, une fois arrivée au bureau. Cette grève, pffiou ! Et là, par enchantement, je suis absous de mon oisiveté, sur le dos du transporteur public. Intérieurement, je fraternise avec les grévistes. Moi qui serait plutôt d’un tempérament de briseur de mouvement, je me fais révolutionnaire secret. Comme une envie de mettre à bas un système qui vous condamne au métro-boulot-dodo. Je veux vivre…
Conducteurs de métropolitains de tous pays, unissez-vous !!!