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folie

  • Folie furieuse à Quimper

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    Cornouaille 2012, Quimper, Emir Kusturica, No smocking Orchestra, folie, concert Pour clôturer la 89ème édition du Cornouaille, un vent de folie des Balkans a soufflé sur les quais de l’Odet. Rien de moins qu’Emir Kusturica et son No Smocking Orchestra pour terminer en beauté une édition placée sous le soleil.

    Avec le No Smocking Orchestra, tout est dans l’exubérance. Le concert s’ouvre sur l’hymne soviétique, petit clin d’œil à un pays communiste qui n’existe plus, la Yougoslavie, qui traverse l’œuvre cinématographique de Kusturica. Quelques sourires pincés ont été aperçus dans la foule, ce qui semble indiquer que non, on ne peut pas rire de tout avec tout le monde et que la peur des chars russes déboulant sur Paris en 1981 a laissé quelques traces dans l’inconscient de quelques uns.

    Le No Smocking Orchestra, c’est une bande de quinquagénaire qui s’amuse comme au temps du succès du groupe rock yougoslave des années 80 dont il est issu : Zabrenjeno Pusenje (interdit de fumer), et qui pratique le Unza Unza, fusion de rock et de rythme des Balkans, qui permet un double voyage : celui qui fait parcourir l’univers cinématographique d’Emir Kusturica, avec la bande son des chat noir chat blanc, la vie est un miracle, le temps des gitans ou encore Arizona Dream, mais aussi dans une rencontre avec une scène rock yougoslave des années 80, au son saturé, dont on imagine mal aujourd’hui qu’un Goran Bregovic, avec son orchestre des mariages et enterrements, a été une star avec Bijelo Dugme.

    Le No Smocking est furieusement rock, mais il n’est pas que cela. Le No Smocking Orchestra, c’est un spectacle d’un peu plus d’une heure et demi, qui fait participer le public, en lui faisant scander Fuck You MTV ou en faisant monter sur scène une brochette de jeunes femmes choisies pour bordéliser le plateau et danser avec les musiciens.

    Le No Smocking Orchestra, c’est du jeu, avec une mention spéciale pour Dejan Sparavalo, le violoniste transformiste, en peignoir de boxeur, et au talent fou, qui peut pratiquement tout faire avec son instrument, comme jouer avec un archer de deux mètres de long. Zoran Milosevic à l’accordéon, dans son costume et chapeau blanc qui le fait sortir tout droit du mariage de chat noir chat blanc transmet pour sa part sa pêche au public et fait raisonner les textes avec sa voix profonde.

    Cornouaille 2012, Quimper, Emir Kusturica, No smocking Orchestra, folie, concert Et il y a Émir. Ou Droopy à la guitare. You know what ? he’s happy… Il a l’exubérance explosive, par tranche. Il s’amuse sur scène, clown blanc au côté d’auguste Dejan Sparavalo, il joue, en anglais, avec son public, narrant quelques histoires, introduisant les morceaux, s’amusant avec ses comparses…

    Le temps passe vite, trop vite. Le public a sauté, applaudi, communié, repris en chœur Pitbull, I’m not Romeo maybe you’re Juliet, ou fuck you MTV… L’hymne soviétique clôture la prestation. C’est déjà fini. Mais dans mes rêves de la nuit, je suis au milieu de cette folie, une trompette à la main…

  • « Angry Birds », les oiseaux en colère

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    nouvelles,angry birds,addiction,folieJusqu’à son quarantième anniversaire, Jacques Daniel ne savait pas ce que le terme addiction signifiait. Il en connaissait parfaitement la définition mais n’en avait souffert d’aucune. L’alcool se limitait à un verre de vin à l’occasion, et encore pour ne pas froisser ses hôtes, la cigarette ne l’avait jamais attiré, il n’avait pas éprouvé le besoin, jeune adolescent, de partager un calumet de la paix pour s’insérer dans la vie sociale et le démon du jeu le laissait dubitatif. Bref, et sans multiplier les exemples qui sont pourtant légions en la matière, aucune passion ne l’avait amené à ressentir une perte de la maitrise de soi et plus particulièrement une abolition de sa volonté.

    N’allez surtout pas croire qu’il ne s’intéressait à rien. Bien au contraire, son esprit avait soif de nouveautés, conduisant ce paisible vendeur d’une grande enseigne d’ameublement et d’électroménager à papillonner d’un loisir à un autre, sans chercher à atteindre l’excellence que permet l’exercice d’une forme de monomanie artistique. Certains diront que sa vie était sans saveur du fait de l’absence de profondeur de l’exploration, d’autres qu’elle était sagement équilibrée, question de points de vue dont le lecteur est seul juge à cette heure.

    Jusqu’à l’entrée dans sa quarante et unième année disions nous donc, Jacques Daniel ne connaissait pas les joies et les peines d’une passion dévorante, de celle qui consume parce qu’elle abolit ce qui nous rend profondément humain, la conscience du temps et de l’autre. Le temps que l’on marque par des bornes, dont certaines ont pour nom anniversaire et qui vit Jacques Daniel recevoir un objet tout à fait banal, mais aux conséquences inattendues : un téléphone portable intelligent ou pour être moderne et dans le vent, un smartphone. Dans les jours qui avaient suivis l’anniversaire fatidique, rien ne changea véritablement pour Jacques Daniel. Le téléphone remplissait les fonctions permettant de le ranger dans la catégorie des objets que l’on nomme fort à propos téléphone : tenir une conversation entre deux points assez éloignés pour que la seule portée naturelle de la voix humaine ne fonctionne plus. Naturellement, le néo-quadragénaire commença à explorer le contenu du menu de son téléphone dont les fonctions de base n’étaient qu’un prétexte pour disposer de toutes les autres possibilités. Du réveil en passant par le chronomètre, de la galerie photo à l’agenda électronique, le menu fut mis à nu. Y compris la section jeux et devrions nous préciser, surtout la section jeux. Même si la marque du téléphone importe peu, il faut bien avouer que le ver était dans le fruit.

    Le diable se nichant dans le détail, Jacques Daniel découvrit entre l’inusable solitaire et l’indispensable Sudoku, un jeu aussi déroutant qu’élémentaire, au scénario écrit par un enfant de cinq ans, les oiseaux en colère, dont le titre original était « Angry Birds », parce que dans le domaine, rien ne peut se faire sans en appeler à la langue de Shakespeare. Le principe du jeu : des oiseaux se sont fait voler les œufs de leur dernière couvée par des cochons. Ils ne sont pas contents et vont le faire savoir en pourchassant ces derniers pour les détruire. Comment ? C’est là qu’intervient la magie de la technologie tactile, qui va permettre au joueur de projeter les dits oiseaux en colère au moyen d’un lance-pierre, actionné le contact de ses doigts sur l’écran, sur les représentants de la famille des suidés, qui vous le noterez, n’imaginaient pas de telles conséquences du fait même de ce vol que seule la faim avait motivé semble t’il. Pour ajouter à la difficulté d’un tir dont il faut maitriser la puissance autant que l’angle de départ, des obstacles protègent les cousins des trois petits cochons dont les conseils en construction auraient été fort utiles pour ne pas voir les oiseaux atteindre leur but.

     Jacques Daniel, que la teneur potache tout autant que pathétique du jeu avait fait sourire commença à se prêter de bonne grâce à l’exercice qui consistait, à l’aide de son index, à tendre l’oiseau entre les deux extrémités du lance-pierre pour l’envoyer dézinguer un cochon. Après quelques réglages pour appréhender l’art délicat du lancer, le quadragénaire réussit, sans trop forcer son talent, à passer le premier niveau avant de se retrouver devant un premier casse-tête, qui prenait la forme  d’une configuration délicate, faite d’obstacles à abattre pour atteindre les voleurs d’œufs : les caractéristiques de chacun des oiseaux mis à disposition devaient être savamment étudiées pour permettre une utilisation optimale de leur qualité tout en réussissant, par un effet papillon savamment recherché, à détruire le maximum de protection autour de la cible. Sans faire de mauvais jeu de mots, ni même sombrer dans la facilité, on peut dire que Jacques Daniel s’était pris au jeu. Sans compter que l’expression sardonique et les borborygmes moqueurs des dits cochons, lorsque le lanceur ratait son coup, avait le don de renforcer la volonté de ce dernier d’en découdre avec ces animaux pour lesquels, jusqu’alors, il n’avait jamais ressenti une quelconque hostilité, même inconsciente.

    Appelé par sa femme pour venir l’aider à préparer le repas, le quadragénaire ne se rendit pas compte qu’il venait de franchir la frontière de l’addiction lorsqu’il répondit à la séduisante Anne-Marie, j’arrive dès que j’ai passé ce niveau, ce n’est pas un petit cochon qui va se mettre en travers de mon chemin. Triste sort, qui voit se réunir sous nos yeux tous les ingrédients d’une incompréhension entre un homme et une femme qui se connaissent et s’aiment depuis deux décennies, et qu’une passion dévorante naissante met sur les rails de la querelle, qui ne va pas tarder à montrer le bout de son nez fourbe. En effet, ce que laissait présager la réponse lointaine, comme agacée dans le ton, de Jacques Daniel à sa femme, se transforma rapidement en incident diplomatique matrimonial de premier ordre quand, une demi-heure plus tard, après quelques rappels infructueux et de plus en plus insistants, la femme touchée dans son amour propre se planta devant le junkie, bien malgré lui, des accessoires ludiques des nouvelles technologies. Jacques Daniel, ayant constaté que les sourcils de sa femme n’avaient jamais été aussi froncés, ne put que se résoudre, à contrecœur, à déposer le fauteur de trouble en bredouillant quelques plates excuses. L’incident était clos …mais le mal était là, dans les veines et l’esprit de l’homme.

    Le lendemain, à peine le petit déjeuner englouti, Jacques Daniel repris le jeu là où il avait été contraint de le laisser. Depuis son réveil, il n’avait pensé qu’à cet instant, loin des yeux tout à la fois inquisiteurs et réprobateurs de sa femme, qui soupçonnait les pires malheurs à venir devant le comportement pour le moins inhabituel de son mari. Il avait passé la soirée de la veille à jeter des regards anxieux sur son nouveau joujou, comme s’il attendait un appel, ou toute autre chose. La suspicion avait envahi le cœur et la raison d’Anne-Marie Daniel, sur fond de légende de la fameuse barrière de la quarantaine des hommes qui se franchirait en déclenchant le non moins fameux démon de midi.

    La suite aurait pu lui donner raison tant le comportement du vendeur d’électroménagers parut prendre une voie qui rappelait les symptômes d’un adultère réalisée dans les règles de l’art du genre: des absences au domicile répétées, une forme de négligence sur soi qu’une fatigue causée par une double vie ne pouvait empêcher de camoufler, un besoin de s’enfermer dans les toilettes le téléphone à la main, prêt à transmettre par SMS de doux billets à une probable briseuse de ménage, et plus frappant encore, des invitations au restaurant et des fleurs comme s’il en pleuvait, car c’est bien connu, le remords déclenche le besoin d’offrir pour camoufler l’écart de conduite mais ne fait qu’alerter la victime de la trahison en train de se commettre, selon le vieux principe, le mieux est parfois l’ennemi du bien.

    Du matin au soir, les pensées de Jacques Daniel étaient tournées vers sa basse cour improbable, réfléchissant aux moyens de surmonter les obstacles de plus en plus difficiles qu’il rencontrait dans le jeu, mais également dans la vraie vie, où le travail, la vie familiale, et pour faire court la société l’empêchaient de jouir pleinement de son amour immodéré, quoique futile et incompris, de ces oiseaux en colère.

    Jacques Daniel se retrouva rapidement sur le fil du rasoir, aculé par sa femme, son patron, ses amis, les ultimatums se succédant sans que la passion qui était en train de le consumer ne montre quelques signes d’essoufflement. Au contraire, pour assouvir sa déviance, le possédé des oiseaux virtuels prenaient des risques inconsidérés, entre prétextes bidons aux clients et collègues pour mieux s’enfermer dans la réserve du magasin, embouteillages fantômes pour ne pas rentrer à l’heure au domicile conjugal et insomnies provoquées pour descendre jouer en toute discrétion dans le salon à l’heure où tous les chats sont gris. Jacques Daniel dépérissait, les yeux injectés de sang par le manque de sommeil et une surdose de rétro éclairage qu’une utilisation inconsidérée du téléphone provoquait…

     L’entourage décida de se réunir. Sous le toit de la victime. La nécessité d’agir était reconnue unanimement. C’est sur le contenu de l’action que les avis divergeaient : méthode douce ou brutale, isolement du sujet ou mise sous tutelle, consultation d’un spécialiste ou non, sorcellerie ou maraboutage… Le concile ne débouchait sur rien, aucune proposition n’emportait l’adhésion.

    Alors que les échanges étaient vifs pour ne pas dire houleux, un cri inhumain, comme une bête que l’on piquerait à vif, arrêta net les palabres : le hurlement provenait du sous-sol, où Jacques Daniel se terrait pour s’adonner à son addiction. Anne-Marie Daniel bondit de sa chaise, évita de justesse de renverser la table et s’engouffra dans la cage d’escalier. Elle ralentit en approchant de la porte qui s’ouvrait sur la pièce dans laquelle son mari se trouvait. L’homme était prostré, de dos, immobile sur le fauteuil qu’il ne quittait plus la nuit. Sa femme s’approcha, avec une appréhension non dissimulée, du corps qui avait produit ce son presque irréel. Le regard fou, la bave aux lèvres, Jacques Daniel pleurait en silence, les mains cramponnées au téléphone mobile. Sur l’écran, une inscription : Félicitations, vous êtes parvenu au dernier niveau, le jeu est terminé…