Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

L'enquête (les chroniques de la RGPP...)

Imprimer

Lorsque l’ordinateur avait émis le premier clignotement, personne n’y avait prêté attention. Le matériel était coutumier du fait, la faute à des logiciels que le moins disant avait fourni, mais avec les défauts qu’occasionne parfois cette qualité. En moins de temps qu’il n’en faut pour transcrire une directive européenne en droit interne, la carte du pays était pareille à une Tour Eiffel un soir de 14 juillet. En un mot, la situation était grave. Avec un problème non négligeable pour ne pas dire de taille : personne ne savait pourquoi. Cette carte faisait partie d’un programme noyé au milieu de milliers d’autres programmes, dont l’objectif et le sens s’étaient perdus. Celui qui l’avait conçu, tout comme celui qui l’avait commandé avaient quitté les locaux depuis belle lurette.

Les plus hautes instances avaient été alertées des périls qui s’annonçaient, sans pouvoir être informées sur la nature des désastres à venir. Notons que la situation aurait pu prêter à sourire et même à rire, si la gravité n’avait pas été de mise du fait, et des dangers potentiels encourus mais répétons le, inconnus, et d’une austérité naturelle des dites plus hautes instances, qui leur avait valu le sobriquet n’ayant aucun rapport avec la présente histoire mais que le narrateur ne peut s’empêcher de vous faire partager : « la famille Adams ».

Une cellule de crise fut rapidement constituée pour prévenir toute fuite sur le mystère qui s’épaississait d’heure en heure et qu’une presse en manque de sensation n’aurait pas hésité à étaler, en amplifiant et caricaturant le potentiel danger qu’aucune autorité n’était en mesure d’expliquer. Imaginons un peu le sentiment paradoxal qui aurait pu saisir la population : une peur irrationnelle couplée à une tranche de fou rire face au désarroi d’une élite plongée dans une expectative qui la rendait, avouons le, aussi risible que possible.

Les plus beaux cerveaux produits par le système scolaire national, venus de tous les ministères, « brainstormaient» comme rarement ils avaient pu en avoir l’occasion depuis la dernière réforme locale, jusqu’à ce que le génie français produise enfin un début de proposition pour une ébauche de sortie de crise : retrouvez les personnages qui avaient mis en place ce système d’alerte. L’enquête fut rapide, rondement mené et pour tout dire c’est le concierge du ministère de l’intérieur qui donna les coordonnées de l’un des deux larrons, avec qui il avait gardé contact, ce qui confirme qu’au cœur du pouvoir, le concierge est une sorte de demi-dieu qui en sait bien plus que tous les mouchards placés dans le moindre recoin des plus obscures pièces. Pas de médaille pour notre homme de bien, car déjà la sainte inquisition républicaine passe à la question Michel Lechêne, ancien obscur programmateur du ministère, qui au temps déjà lointain, préhistorique dirait les plus jeunes des stagiaires de l’administration, de la mise en place de la LOLF, acronyme pour indiquer que le budget pouvait être rigolo, du moins est-ce le seul sens qu’ait indiqué une « googlelisation » des quatre lettres, bref, pour résumer et avant de se perdre dans une phrase qui pour la majorité et en particulier mon prof de français de terminale est bien trop longue et lourde,  Michel Lechêne exerçait ses talents en un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre.

Aujourd’hui responsable du service informatique d’une communauté de communes dans le pays de son enfance, entrela Bretagneetla Coted’Azur, Michel Lechêne, fidèle au langage binaire qui est la fierté du monde informatique, ne fit aucun détour dans ses explications et alla droit au but, ce qui est certes tout à son honneur mais ne permet pas à l’écrivain d’écrire un roman, lui qui a besoin de rebondissements, de mystères et autres boules de gomme. Sous le regard attentif de l’inspecteur général des services Pierre-Matthieu deLa Pie QuiChante, le programmateur désormais territorial indiqua que ce logiciel recensait tout simplement chaque année les déférés préfectoraux à l’encontre des décisions et autres délibérations de ceux qui s’administrent librement mais sous le regard bienveillant du représentant de l’Etat. Le clignotement rouge du logiciel traduit un nombre égal à zéro de déféré dans une préfecture sur une année. Il apparaissait donc qu’une seule sous-préfecture avait réalisé une telle opération l’année précédente, et que toutes les autres n’avaient rien eu à redire à ce qu’il leur avait été transmis. Un soulagement général traversa les ministères et les cabinets des plus hautes autorités, l’alerte n’avertissait pas d’un danger, elle tendait même à prouver que la qualité des administrations locales décentralisées avait atteint un niveau proche de l’excellence à une exception près, le grand chelem était à portée de main…

Michel Lechêne fut chaudement remercié, le concierge fut une nouvelle fois oublié et l’affaire alla rejoindre le carton de celles qui sont menées et classées avec brio, car les brigades du tigre des hautes sphères administratives n’étaient pas mortes !

Michel Lechêne, de retour dans sa communauté de communes, en première classe,la Républiquen’étant jamais la dernière pour honorer ses fidèles serviteurs, ne pouvait s’empêcher de revoir cette carte illuminée de mille feux. La solution était trop simple pensait ce clone de l’inspecteur Clouzeau, dont le goût pour le roman policier avait instillé dans son esprit une déformation non pas professionnelle mais néanmoins bien aiguisée qui le faisait douter constamment devant la simplicité des choses pour ne pas dire les simplifications que l’âme humaine apprécie tant. Une nuit, puis une deuxième sans avoir trouvé le sommeil commencèrent à inquiéter les collègues du directeur de l’informatique.

« Michel, qu’est ce qui t’arrive ? T’arrives pas à retourner chez le commun des mortels ? » osa la directrice générale qui ne connaissait pas le quinquagénaire si taciturne dans son quotidien.

Michel Lechêne, après quelques hésitations, s’ouvrit de ses interrogations persistantes. Rompant le secret professionnel qu’il ne lui avait pas été demandé de rompre, l’ancien programmeur du ministère de l’économie présenta l’état de ses investigations qui tenaient en une hypothèse simple : si le thermomètre indique qu’il n’y a pas de température, ça ne veut pas pour autant dire qu’on n’est pas malade. Devant l’air dubitatif de son supérieur hiérarchique et néanmoins amie, Michel Lechêne compris que l’heure n’était pas à la littérature policière et à la périphrase et que le langage binaire direct serait bien plus efficace :

«  S’il n’y a plus de référés, c’est peut être parce qu’il n’y a plus matière à, mais ce peut être tout autant parce qu’il n’y a plus personne pour en faire…CQFD… » proclama l’enquêteur des mystères administratifs dela République.

La bombe lachée, quoiqu’un peu estomaquée, Anne-Lise Martin, directrice des services de la communauté de communes des trois étangs, bien qu’elle n’en ait jamais répertorié que deux, allez savoir le pourquoi du comment, proposa à l’informaticien de l’aider à alerter les plus hautes autorités de son hypothèse pas si farfelue en temps de vaches maigres des finances de l’Etat.

Aussitôt dit, aussitôt fait, les sarcasmes des hauts fonctionnaires sur la vacuité, pour ne pas dire l’outrecuidance d’une telle idée qu’ils n’auraient pas eue auraient pu tuer dans l’œuf une carrière d’enquêteur si l’inspecteur général des services DeLa Pie QuiChante n’avait appelé en douce Michel Lechêne pour lui demander d’enquêter en secret à ses côtés. La piste méritait d’être explorée, et lui aussi se sentait une âme de fin limier, paré à démêler l’écheveau de tous les mystères possibles.

Dans une confidence de fin de conversation, l’inspecteur général, trentenaire, avoua que son métier il le faisait plus par obligation familiale, au nom de la tradition et parce qu’il avait, pour son malheur, réussit les grandes écoles, mais que son rêve caché et profond, c’était de porter un insigne, bon flic mais pas du genre premier de la classe, aux méthodes efficaces mais qui mordillent allégrement la ligne jaune, ce qui prouve bien que l’habit ne fait pas le moine, y compris dans les ministères monacales.

Le duo de détectives en herbe décida que l’enquête devrait être rapide mais simple, du fait des moyens d’action limités qu’ils avaient à leur disposition : du bagout et un téléphone. Ce qui n’est pas Byzance mais on a construit des empires avec presque moins que cela plaisanta l’aîné des deux compères.

La répartition des préfectures pour prendre les renseignements nécessaires sur le contrôle de légalité s’opéra par l’attribution des numéros pairs à Michel Lechêne et les numéros impairs à Pierre-Mathieu dela PieQuiChante, qui se fit rapidement nommer par son nouveau camarade PM, raccourci bien pratique que seul un informaticien avisé aurait pu oser.

Commentla Corsedu Sud (2A) etla Haute Corse(2B) furent réparties restera un mystère de cette histoire.

Pour mener l’enquête, le stratagème était simple : les deux larrons se faisaient passer pour des stagiaires du ministère devant récolter quelques données dans le cadre d’une étude commandée par le ministre lui-même. Le questionnaire tournait autour du pot pour ne pas éveiller les soupçons des forces déconcentrées de l’Etat, qui, auraient du être appelées les forces diluées jusqu’à un dosage homéopathique, comme les résultats de l’enquête n’allaient pas tarder à le démontrer. Les préfectures avouaient, honteusement, puis avec une rage contenue trop longtemps, que de fait, plus personne n’exerçait véritablement le contrôle de légalité. Les effectifs ne le permettaient plus, les agents en poste n’avaient plus été remplacés depuis une éternité, et à défaut de faire mieux avec moins, il y avait eu une conjonction extraordinaire et tacite pour ne plus faire tout court dans ce domaine et ce afin de pourvoir à tout le reste.

Les deux enquêteurs avaient le triomphe amer, la piste suivie était la bonne mais l’ampleur des dégâts les attrista. L’empathie du détective ou les valeurs du service public, un peu des deux sans doute, les amenèrent à partager la tristesse de leurs interlocuteurs et à envoyer un rapport d’enquête salé, bien que tout ce qu’il y a de plus conforme aux notes administratives, aux plus hautes autorités du pays. Ce qu’est devenu ce rapport, personne ne le sait véritablement, pas même les deux enquêteurs qui depuis lors se sont associés pour monter une officine de détectives privées.

Ce que l’on sait en revanche, c’est que l’année qui a suivi le départ à la retraite du dernier agent du contrôle de légalité de la sous-préfecture qui ne s’était pas illuminée, le champagne a coulé à flot au ministère : la maturité de la décentralisation avait été enfin atteinte, la totalité des points lumineux  sur le programme du ministère brillaient de mille feux…

Les commentaires sont fermés.