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Du rêve en période électorale

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tract-sfio-1936-1.jpgLa présidentielle a le charme des événements qui suspendent le temps et abolissent la réalité. Les candidats, avec plus ou moins de talents, avec plus ou moins d’honnêteté, présentent le projet qu’ils défendent et qu’ils entendent mettre en œuvre une fois élue, pendant que les supporters se prennent à rêver d’un avenir radieux qui ne peut qu’être différent du présent qu’ils vivent au quotidien.

Une campagne présidentielle est hors du temps, le principe de réalité s’effaçant derrière la rhétorique, l’esprit de groupe et la constitution d’une mythologie propre à chacun.

Le candidat, investit des pouvoirs d’un roi thaumaturge exalte la foi de ses sympathisants par une chanson de geste qui dure quelques mois, labourant les terres nationales à la rencontre de ce que les commentateurs appellent les forces vives de la nation, profitant d’une salle des fêtes, d’un centre des congrès, d’un zénith ou encore d’une place publique pour se faire tribun des grands comme des petits jours. Et là, emporté par la foule, le sympathisant se sent poussé des ailes, à cœur vaillant, rien d’impossible, la révolution est là mes frères, à quelques bulletins de vote glissés dans une urne. Dans une atmosphère de kermesse, le public scande le nom de son champion, cette fois, c’est la bonne, tout va changer pour le mieux.

Le porte à porte, les collages, les tractages, rien ne peut plus arrêter le militant, l’euphorie le transporte dans la stratosphère de la contemplation, le nirvana de l’engagement politique, quand tout est encore possible, quand l’exercice du pouvoir n’est pas venu assombrir le tableau.

 Ô temps ! Suspends ton vol, et vous, heures propices ! Suspendez votre cours : Laissez-nous savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours ! disait Lamartine, parlant certes de l’amour passée pour une femme, mais qui, plus tard comme homme politique allait découvrir que le lendemain de fête comporte toujours son lot de désillusion. Parce qu’il y a dans une campagne électorale comme la présidentielle cette part d’amour et de haine qui atteint son paroxysme dans les heures précédant le résultat final, résultat d’un coup de foudre ou d’une entreprise de séduction plus poussive, plus longue à porter ses fruits, mais au résultat identique, une passion folle qui s’inscrit entre le sympathisant et son candidat.

Mais comme toutes les histoires d’amour ou presque, le maintien de la flamme est une affaire compliquée, le jeune premier vous avez promis le petit déjeuner au lit tous les jours, mais rapidement il ne vous dit même plus bonjour en se levant : les lendemains de la victoire sont ceux d’un réveil plus ou moins brutal. Du rêve à la réalité, de l’euphorie au retour à la vie de tous les jours, la descente peut être vertigineuse, le règne de l’avalage de couleuvre ne tardant pas, car ce que peut réellement un Président de la République est parfois éloigné du contenu de ce qu’il proposait comme candidat : en pratique, les intérêts des uns et des autres vont transformer la meilleure des volontés en un chapelet de réformettes qui permettra de vérifier que la montagne a accouché d’une souris.

C’est un poncif éculé mais la réalité est toujours un peu plus complexe que la théorie, et les grands soirs ont été en fin de compte, relativement rares dans l’Histoire. Le dernier, pour la France, s’est déroulé entre 1944 et 1946, où la disqualification d’une partie de l’élite en place puis la reconstruction à opérer, ont permis ce moment unique dans l’histoire politique, la mise en place des propositions du CNR (Conseil National de la Résistance), aux accents quasi-communistes, en tous les cas avant-gardistes en matière de construction d’une société plus égalitaire et solidaire. C’est d’ailleurs cet héritage qui a été patiemment détricoté depuis les 30 dernières années avec une accélération manifeste sous la présidence de Nicolas Sarkozy (sécurité sociale et droit pénal notamment). La violence et la dangerosité des problématiques actuelles (écologiques, économiques et sociales) appellent à la reproduction à l’échelle européenne et mondiale d’un programme du CNR réactualisé, mais les conditions ne semblent pas réunies, la révolution sociale et écologique sur le vieux continent n’est pas pour tout de suite.

Mais on n’attrape pas des mouches avec du vinaigre, et la dimension utopique, dans le sens noble du terme, d’un programme et d’une candidature constitue un élément indispensable à l’être humain. L’électeur qu’il est reste ainsi fait que s’il ne vibre pas, il ne se déplace pas le jour du scrutin, si ce n’est sous la contrainte. Et si l’électeur maugrée contre les vendeurs de rêve, il ne supporte pas les candidats qui ne lui donnent pas un tant soit peu de frisson. Même si l’électeur sait que la chose n’est pas possible dans de telles proportions, il a besoin de croire, quelques heures, quelques semaines que ça peut arriver.

Ainsi du programme de Mélenchon, qui représente ce que devrait être la société, l’Europe telle qu’on aurait dû la concevoir, l’économie telle qu’elle devrait être mise au pas, l’écologie telle qu’elle devrait être appliquée. On retrouve cela également dans le programme des Verts. Ça a de la gueule et ça répond aux problématiques de notre temps…dans une société quasi-parfaite, au sein de laquelle aucune opposition n’existe, une société dans laquelle le consensus idéaliste règne. Une société dans laquelle l’être humain aspire à coopérer, à ne pas écraser son prochain et à regarder un peu plus loin que la réalisation immédiate de son plaisir. Un pays qui peut imposer ses vues à ses partenaires, sans traités européens existants qu’il est long et difficile d’amender dès lors qu’il faut convaincre une majorité des autres de la pertinence de notre point de vue, sauf à réaliser unilatéralement son programme, au risque de se retrouver totalement isolé dans un monde si ouvert que nous l’avons vu avec la crise financière, un rhume dans un pays se transforme en grippe dans un autre. La désillusion est donc terrible entre le souhaitable et le possible, même si le possible ne doit pas conduire à abdiquer tout souhaitable, c’est toute la subtilité entre le compromis et la compromission, le réformisme et le conservatisme…

Ce qui ne veut pas dire que ces candidatures sont inutiles. Au contraire. Elles permettent d’exposer un point de vue pour convaincre, persuader les autres. Faire que les idées avancent, que l’hégémonie culturelle d’un certain projet de société s’installe dans les têtes. Ces programmes et ces candidatures, le poids électoral qu’elles peuvent acquérir obligent également les tenants d’une ligne dite réaliste à ne pas oublier la cruauté du diagnostic et l’indispensable but à atteindre sans se cacher derrière le petit doigt du discours tout fait mais ma bonne dame, vous le savez bien, c’est un peu plus complexe que ça, il faut faire accepter un compromis, et puis, on n’est pas seul et puis… (Message à François H., un peu de courage, tu ne feras plus la synthèse du PS, tu conduiras un pays, le consensus mou pour pas déplaire aux copains faudra oublier...)

Ne pas trop rêver, sans non plus oublier ses rêves, promettre ou proposer, l’équilibre est incertain dans une présidentielle pour ne pas s’éveiller avec un sentiment de malaise. Le plus dur va commencer dans un mois, une fois Sarkozy mis à la retraite d’office. Espérons que le charme de la présidentielle saura perdurer au-delà du 7 mai… 

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