L’homme étant la mesure de toute chose et le breton son mètre étalon, celui-ci ne peut s’empêcher de comparer ce qui le mérite quand il va voir du pays et plus précisément en Alsace. D’un particularisme à l’autre, il doit exister quelques principes universels et tout autant de singulières dérogations.
L’Alsace, c’est ce morceau de terre accroché au Rhin, dont la France constitue un tampon naturel pour la séparer de la Bretagne. Il vous faudra, amis bretons, traverser de part en part les contrées atypiques de la France de l’intérieur, où le beurre est doux et la crêpe suspecte, et même passer par Paris, si si, c’est souvent obligatoire par voie ferrée et par la route vous en approchez dangereusement, pour vous retrouver au pays du Bretzel et des noms de villages encore plus imprononçables qu’un patronyme de hameau brezhou. Oui, tous les villages finissent, à quelques exceptions près, pour ne pas non plus que les Alsaciens eux même y perdent leur latin, par le substantif Heim. Qui veut dire village. Comme si les bretons rajoutaient Ker pour nommer leur commune et lieu-dit… La palme de l’incongruité, de la difficulté et d’une certaine forme de masochisme revenant à Niederschaeffolsheim, à prononcer d’un seul trait, dont la moitié du courrier s’égare faute de place sur l’enveloppe, ce qui prouve bien qu’à l’heure de l’email, la valeur de la poste n’en reste pas moins grande…
Pour brouiller un peu plus les pistes, il n’est rien qui ne ressemble plus à un village alsacien qu’un village alsacien… C’est peu de dire qu’ils sont identiques, seul le panneau officiel et le nom des commerces vous donnant quelque indice pour vous repérer en dehors d’un guidage GPS. Les habitants s’y perdent d’ailleurs un peu et ont recours à un subterfuge unique pour retrouver leur maison : le code couleur de la façade. Un feu d’artifice bleu, jaune, vert, rouge avec nuances intégrées. C’est la seule explication plausible à une telle palette, qui, sous un aspect véritablement pittoresque, méprise allègrement les règles les plus élémentaires de la perspective urbaine Hausmanienne. Cette architecture de maisons à colombage multicolores, sur lesquelles le géranium pousse comme du chiendent ravira le fan de Tolkien qui pourra à peu de frais imaginer rencontrer quelque hobbit sortant d’on ne sait où…
Si crêperie et cidrerie caractérisent le commerce élémentaire breton, le Winstub, littéralement pièce à vin, aussi surement que l’accent et le géranium, structure la vie locale. On peut y déguster le vin, excellent, la bière, pas si mauvaise et la flammenküche, intemporelle pour quelques euros (oui oui nous partageons en effet la même monnaie, en dépit de l’éloignement géographique). La Flammenküche est en effet immuable et là où l’audace, l’originalité, peut conduire le maître crêpier à innover sans le choix de ses ingrédients, le conservatisme aurait plutôt tendance à l’emporter en bord de Rhin et le chroniqueur ne dit pas cela au vu de l’échiquier politique qui fait de l’Alsace la seule région française métropolitaine continentale dirigée par un exécutif de droite.
Il y parfois comme une impression qu’une partie non négligeable de la vie s’est arrêtée dans cette contrée. Certes, la chose se retrouve en Bretagne, notamment un jour de défilé au Cornouaille ou au Festival Interceltique de Lorient. Mais là où le bagadou innove, le festival de musique actuelle se déploie en Bretagne, le folklore semble plus fermé en Alsace. Etrange sensation que de vivre une expérience unique mais de s’y sentir totalement étranger. Mais le chroniqueur, pas fermé pour un sou, consentira à réviser son jugement le jour où un audacieux osera faire une Flammenküche à la noix de Saint-Jacques, à l’andouillette moutarde ou au pourquoi pas au caramel au beurre salé, mais vous laissera gouter d’abord.
Et de sel parlons-en ! Là où subtilement le breton l’incorpore au beurre dans un alliage gastronomique qui se suffit à lui-même, l’Alsacien le concentre sur son fameux bretzel. Ce ne sont plus des grains de sel mais des petits cailloux de sodium, sans même la subtilité iodée du gros sel de Guérande. Pourquoi se donner tant de mal à ne pas se faire du bien ? Il y a pourtant une explication plausible à cette pratique culinaire autochtone que d’aucun qualifierait de barbare : le Bretzel salé donne soif et quoi de plus naturel que de l’étancher avec une bière locale. La boucle est bouclée, qui porte à croire que la bonne santé économique de l’Alsace repose pour une majeure partie sur le Bretzel dans une symbiose parfaite où la rupture d’approvisionnement en sel menacerait de fermeture les nombreuses brasseries qui couvrent aussi surement que les clochers la plaine Rhénane. Enlevez la crêpe de blé noir au breton, c’est la bolée de cidre qui disparaîtra….
Si le Breton use de bretonnisme l’alsacien n’est pas en reste en la matière avec le dialecte alémanique, bien qu’il l’ait réduit à sa plus simple expression. Une preuve ? Placez le mot Hopla trois fois dans une phrase, remplacez le J par un Cheu, prenez un air martial en prononçant le vingt, vinte et vous passerez pour un autochtone…jusqu’à ce que l’on vous fasse prononcer les noms des villages de la route des vins.
Si l’animal totem de la Bretagne est la mouette, bruyante et rieuse, l’Alsace a choisi la cigogne. La cigogne est comme la voiture sans permis en Bretagne, on en trouve partout. Pas un clocher, une cheminée où ne trône le fier animal. Pourtant, et contrairement à la légende, cette présence en nombre n’a aucune corrélation démographique avec une natalité plus forte qu’ailleurs en France, ce qui prouve bien que les enfants naissent dans les choux et les roses et ne sont pas apportés par l’oiseau au long bec. Une exception toutefois, il n’est pas impossible que l’alsacien naisse dans le géranium, mais la science n’est pas encore assez avancée pour percer le mystère...
à suivre