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avignon

  • La plus grande scène du monde

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    Chronique, humour, bar-tabac-PMU, avignon, Dans la torpeur du croisement entre juilletistes et aoutiens, il est un lieu dans lequel se trouve réuni tous les ingrédients d’un festival qui mêle théâtre, musique, sport, culture, inculture et j’en passe. La rencontre du one-man show et de la dramaturgie qui met Avignon à des années lumières de la branchitude.

    Pourtant, on le dédaigne, on l’oublie, quand on ne l’attaque pas honteusement! Ouvert toute l’année, cette agora injustement méconnue reste pourtant le dernier lieu de la création pure, où l’imaginaire se frotte à une réalité difficile. C’est le dernier refuge des vrais conteurs, de ceux qui créent les mythes, l’Odyssée, la Chanson de Rolland et même plus proche de nous Batman ou encore Superman. Je veux bien entendu parler du Bar-Tabac-PMU. Attention, entendons-nous, je ne parle pas de la brasserie guindée mais bien du seul, de l’unique, de l’indispensable bistro ! Celui qui sent fort la sueur, la friteuse et le pastis renversé, parfois relevé de néons qui piquent les yeux !

    Là, vous trouverez des analystes politiques, sportifs… Mais aussi des acteurs brillants qui s’ignorent, des aventuriers perdus, une galerie étoffée de personnages aussi bizarres qu’attachants.

    Installez-vous tranquillement, un journal à la main -vous comprendrez le pourquoi du comment plus loin- si possible l’Equipe ou le parisien (ou Ouest-France, la Voix du Nord, les DNA, selon votre situation géographique), commandez un café (ou ce qui vous tentera, selon votre humeur, l’heure ou toute autre cause) et laissez la magie s’opérer sous vos yeux.

    Devant votre regard ébahi, la scène va s’animer, avec le tenancier jouant le rôle de Monsieur Loyal.

    Au comptoir, Dédé et Momo refont le match, transformant ce qui avait constitué une banale, pour ne pas dire une piètre partie de football en une geste épique, presque mythologique. Je te le dis moi, comme je le pense, si j’avais été sur le terrain, ça ne se serait pas passé comme ça ! Tu me donnes même pas un quart ce qu’ils gagnent et j’explose tout. Prendre autant d’argent pour jouer comme une chèvre, je peux le faire aussi pour des clopinettes ! Pas vrai Momo ? Dédé, c’est pas si facile que ça, tu le sais. Puis j’aimerais t’y voir sur le terrain, je te donne pas deux minutes ! T’entends ça Riton, il me connaît pas Momo, il m’a pas connu à la grande époque, j’ai failli être professionnel, y avait des recruteurs, mais je suis passé à coté, j’avais passé la nuit en boîte la veille, pour essayer de me faire Sandrine, tu sais, celle qui est caissière. Oui, à l’époque, elle était jolie, comme je te le dis…Maintenant, faudrait me payer, mais à l’époque…Dédé a des trémolos dans la voix, Momo comprend qu’un destin a basculé lors de cette sinistre soirée et Riton, le tenancier souffle de dépit, Dédé raconte cette histoire trois fois par jour, même quand le sujet ne s’y prête pas. Pourtant, il y a fort à parier que les mythes sont nés dans les auberges et les tavernes, d’une histoire banale que la répétition, l’alcool et le besoin de l’homme d’enjoliver les faits autant que celui de se donner du sens ont transformée en une légende qui continuera à traverser les siècles.

     

    Après cette belle entrée en matière, vous ouvrez subtilement votre journal, pour bien montrer la une à l’assemblée. Avec cette technique infaillible, vous attraperez de l’analyste de comptoir à tous les coups. D’ailleurs, il s’en présente un, il va chercher à attirer votre attention en commentant avec une voix d’appeau ce que lui inspire cette une. Il cherche le dialogue, c’est à vous de jouer. Il commence, Mais dans quel monde vit-on ? Et là, il va déployer son argumentaire, seulement perturbé par cette phrase magique, Riton, tu me remets la même et serre le monsieur, il sèche sur pied. Bientôt rejoint par d’autres analystes tout aussi pertinents qu’imbibés, vous vous retrouverez sans y prendre garde au milieu d’une joute verbale de haut vol, qui vous rappellera qu’il y a 2500 ans, Platon, Aristote et toute la clique n’ont pas procédé différemment pour écrire les plus belles pages de la philosophie (si si relisez le banquet on y disserte en buvant et mangeant comme des soulards de caserne !)

     

    Toujours dans ce temple de la civilisation, vous découvrirez, si celui-ci est un dépositaire officiel du Pari Mutuel Urbain, l’approche scientifique et le génie humain en action. Ne souriez pas, les paris sur courses hippiques, le tiercé, quarté, quinté sont ce qu’il y a de plus sérieux après le loto sportif. Pour trouver la combinaison gagnante, c’est un savant mélange d’études de terrains, de performances passées des équidés, de renseignements sur les conditions atmosphériques du jour qu’il sera nécessaire de réaliser. Pour faciliter la tache du parieur, la presse spécialisée édite des journaux dédiés dans lesquels se succèdent des tableaux que le béotien regarde avec mystère. Vous y lirez des statistiques, où tout ce dont vous avez besoin est scrupuleusement consigné. La lecture attentive et collective de ces trésors donne lieu à de sévères échanges entre les pratiquants à coup de démonstration d’équations largement éprouvées par le succès ou l’échec des uns et des autres. Réunis autour de la même passion, les amateurs de course la regarderont ensemble, exulteront, pleureront et passeront la maigre récompense dans une tournée générale mémorable dont on parlera encore lorsque le cheval sera dans l’assiette.

     

    Petit bémol pourtant dans cet univers où le jeu rassemble les hommes : l’introduction, il y a quelques années du Rapido, une sorte de loto continu, visualisé sur un écran. Le joueur valide ses grilles et attend les résultats en sirotant tristement un demi ou un ballon de blanc. Captés par l’écran et la promesse d’une richesse immédiate, les hommes ne se parlent plus. C’est moche mais ainsi va la civilisation et le progrès. Le Rapido, c’est le Sudoku sur Iphone du pauvre.

     

    Toutes ces scènes, cette vie riche, se passent en bas de chez vous, de votre bureau. Ne laissons pas ces lieux de la création périr, rejoignons les, participons aux débats, analysons, commentons, rassemblons les intelligences. Un seul mot d’ordre tous au café !

     

    Une dernière précision, ou plutôt une question en forme de conclusion : est-il besoin de s’alcooliser pour apprécier ce lieu ?. La réponse n’est pas facile et les avis divergent. On peut valablement, comme spectateur, se contenter d’un café, d’un soda ou d’une autre boisson insipide. Au contraire, l’esprit clair permettra de saisir les subtilités du débat dans toutes ses dimensions.

    La réponse est différente si vous cherchez à percer et vous faire un nom dans ce milieu, en devenant acteur. Le ballon de blanc déliera plus facilement le discours, ira chercher plus loin dans l’inconscient les ressources nécessaires à votre réussite comme personnage. Il n’est pas utile de commencer au calva à 8 heures du matin, mais le pot de cacahuètes accompagnant le demi sera pour vous le plus sur des alliés. Santé!