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hommage

  • Je suis Charlie

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    charlie hebdo, attentat, charb, hommage, cabu, maris, wolinskiJ’ai découvert Charlie Hebdo il y a un peu plus de vingt ans. J’en avais quatorze. J’ai passé plus de la moitié de ma vie avec lui. Chaque mercredi, je saute sur la boîte aux lettres pour y trouver la livraison hebdomadaire, déchirer avec empressement le plastique qui l’entoure pour me jeter sur la couverture et celles auxquelles vous avez échappées comme un drogué prenant sa dose. Autant que l’école et les diverses rencontres, il a fait mon éducation. Par le rire, la dérision, l’humour, cet art difficile de la caricature qui n’est pas de résumer le monde en un dessin mais de l’interroger pour éveiller des consciences et faire naître des citoyens.

    Charlie, ce sont des plumes, des crayons, de la matière grise, de la bonne humeur, une ode à la liberté d’expression, avec pour seule arme, le dessin, la chronique, l’enquête, pour que toujours l’œil critique s’exerce. Il y a des semaines où il est moins bon, des semaines où il est exceptionnel, et le plus souvent il est la promesse d’une lecture que l’on ne voudrait jamais finir. Et toujours derrière le papier transpire le plaisir d’une bande de potes même s’il lui arrive de connaître des crises, comme tout le monde.

    La société a une belle dette à l'égard de Cavanna et consorts : l’irrévérence, c’est ce qui permet de rester éveillé. Sans avoir un tirage démentiel, Charlie tire la presse vers le haut. Personne ne l’ignore. Sa Une est toujours en bonne place dans les kiosques. Libertaire, il dénonce les fanatismes, quand certains voudraient capituler. Il n’a jamais fait l’unanimité, parce que son humour vitriol est comme l’œil de la mauvaise conscience qui nous regarde : vous ne voulez pas réfléchir, ne pas voir vos contradictions, vos petites lâchetés, nous vous les rappelons, vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas.

    La rédaction de Charlie, depuis les premiers pas d’Hara-Kiri, c’est du talent à chaque page. Une petite famille dont on vient de nous en enlever des êtres chers.

    Cabu est un magicien du crayon, un génie de la caricature à l’état pur. Avec son air d’éternel ado timide, il avait ce don rare de pouvoir incarner l’air du temps, de taper dans le mille avec une ou deux idées en un dessin. Pour ma génération, Cabu c’est RécréA2, les dessins de Dorothée. Avec lui, la petite graine de la contestation était plantée : il a fait le pont entre notre enfance et l’apprentissage de l’adolescence. Le Canard enchaîné et Charlie Hebdo nous étaient familiers dès la première lecture. Le meilleur depuis et pour plusieurs générations.

    Wolinski est comme notre rapport au vin. Adolescent, ses dessins avaient le gout de l’interdit mais c’est en prenant de l’âge que l’adulte saisit son œuvre. Et derrière le dessin lubrique, c’est une certaine idée de la vie qui apparaît, des rapports humains, de la difficulté d’être, de la petitesse qui fait la grandeur du quotidien.

    Tignous et son dessin si reconnaissable, où le méchant de l’histoire est entouré de mouches, le nez grossi jusqu’à exploser. Une teigne, mais une teigne bien utile, pour dénoncer l’injustice, les inégalités, le fric, la corruption, le fanatisme et toutes ces saloperies qui nous rongent.

    Mais Charlie, ce n’est pas que du dessin. C’est du texte, de la chronique…

    J’aime l’économie. Et Oncle Bernard n’y est pas pour rien. Bernard Maris était à l’image du grand homme qu’il révérait, Keynes. Esthète, brillant, économiste pas fumiste, pour qui les formules mathématiques ne sont que des cache-misères d’idéologies qui ne veulent pas dire leur nom. « Ah Dieu que la guerre économique est jolie ». Il pensait le contraire, rêvant d’une société de cigales, frugale, coopérative et hédoniste contre la société des fourmis qu’on nous construit et qui nous mène au naufrage aussi sûrement que le premier voyage du Titanic. L’attente hebdomadaire de son journal d’un économiste en crise, utile sur le fond, monument littéraire sur la forme, ses passes d’armes sur Inter, ses analyses fines et jamais pédantes, ses bons conseils littéraires… et son rôle dans Charlie, ses éditos qui alternaient avec ceux de Charb…

    Charb, un sacré dessinateur, Charb, un capitaine de navire intransigeant sur les principes. Un air d’où est Charlie sans que l’on sache bien s’il le faisait exprès ou non… Maurice et Patapon ne sont pas les héros les plus classes de l’histoire de la BD, mais Charb avait le mot juste pour nous mettre devant nos propres contradictions. Il était intolérant à l’intolérance, fanatique contre les fanatiques et jusqu’au bout, il aura porté son rôle avec talent et pugnacité. Il a payé de sa vie la fidélité à ses principes, l’opiniâtreté de son combat et l’amour de son journal.

    Et comme un pied de nez, ses assassins en ont fait un martyr qu’eux rêvaient d’être. L’arroseur arrosé. Maurice et Patapon vous chient dessus bien bas messieurs les connards. Vous vouliez tuer un journal, vous avez levé une vague qui d’une seule voix, d’un seul souffle, vous dit, je n’ai pas peur, vous ne gagnerez pas parce que, je suis Charlie.

     

    PS 1 : Mes amis, vous me manquez déjà, et quand je recevrai dans ma boite aux lettres le numéro de la semaine prochaine, ne m’en voulez pas si je pleure encore une fois, comme ce soir, quand je suis rentré à la maison.

    PS 2: je n’oublie pas les autres. De Charlie ou pas. Les civils et les policiers. Charlie tançait souvent la corporation, mais elle était là pour les protéger. De la colère ce soir, de l’hébétement. Pas d’amalgame, ne pas tomber dans la haine et la vengeance, répondre par nos armes : les mots, les dessins et l’unité.

  • Arrivederci Cavanna

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    cavanna,ritals,hommageIl y a des hommes et des femmes dans la vie qui changent une personne. Chaque interaction transforme un peu ce que l’on est. Je n’ai jamais rencontré personnellement François Cavanna, mais cet homme, son œuvre, sa vie m’ont marqué.

    Vers 14, 15 ans, j’ai découvert les ritals, et le singe devint con… Une claque monumentale. L’écriture pouvait être belle sans être pédante, drôle pour mieux faire passer le fond du discours, la langue pouvait être tordue pour la rendre agréablement novatrice, un écrivain pouvait raconter une histoire en interpellant le lecteur, on pouvait ne pas faire lettres classiques et parler aux gens avec intelligence. Plus tard, avec Saramago, Céline, Echnoz dans des styles différents, je prendrais à nouveau un gros coup de poing littéraire.

    Cavanna, c’était un personnage, une vie. Un monolithe avec ses énormes bacchantes, son franc-parler et cet air d’ours mal léché. Un aventurier avec Hara-Kiri et Charlie. Un novateur. Et un homme avec ses faiblesses, sa tendresse, un être cabossé par la vie. Avec ses contradictions. Qui le rendait si proche…

    Ses derniers billets dans Charlie annonçait la triste nouvelle à venir, la salope de maladie prenait toujours plus de place, et elle avait fait alliance avec l’usure du corps d’une existence bien remplie.

    Il fait partie de ces personnages qui ont eu tellement de vies qu’ils ne sont pas totalement humains.

    De sa jeunesse de fils de rital et de morvandiou, le STO, sa Russkoff, le retour à Paris, Maria et le lancement dans la vie professionnelle comme dessinateur, puis le basculement, heureux, dans l’écriture… les hauts, les bas, la vie, les morts…

     On est admiratif devant ce parcours, d’autant plus que Cavanna était humain, comme vous, comme moi. Ses hésitations, ses dépits, ses faiblesses. Il ne s’en cachait pas mais n’en faisait pas non plus un fonds de commerce comme on le voit si souvent de nos jours.

    J’ai et je continue à prendre mon pied en vous lisant cher Cavanna. Votre œuvre, je l’espère drainera encore longtemps le plaisir des gourmets de belles phrases et de grandes histoires. De ceux qui ne se satisfont pas de la connerie humaine, qui la combattent même si elle est épuisante et qu'au fond, le pessimisme est de mise. Pourtant, il y a toujours une lueur. Le singe devint con mais il lui arrive d'être bon.

    Merci François Cavanna. C’est en vous lisant que j’ai pris assez de confiance en moi pour me dire que j’aimais lire, que j’aimais écrire, que dans la vie, rien n’est jamais déterminé. Il faut croire en soi, faire fi des conventions et aller de l’avant. Un petit rital de Nogent n’a pas de destin tout tracé pas plus qu'un fils de portugaise.

     

    L’équipe de Hara-Kiri se reconstitue petit à petit  la haut et les anges doivent bien se marrer !