La vie nous apprend que nous ne sommes pas immuables. Nous sommes même le changement permanent. Cela se constate physiquement mais c’est tout aussi vrai intérieurement, et même plus profondément que notre enveloppe corporelle. Notre moi intérieur évolue, au gré des ans et des circonstances, aussi surement que notre peau se renouvelle chaque heure, chaque jour… Même pour des personnes dont le quotidien est identique d’un jour à l’autre, ces changements opèrent, dans des proportions certes homéopathiques, mais néanmoins réels. Nous ne sommes jamais tout à fait une personne différente, ni tout à fait le même individu que nous étions précédemment et que nous serons demain.
Il y a des évènements qui viennent bousculer, précipiter, accélérer ces changements, par implosion, blessures, traumatismes intérieures ou extérieures. Soit que l’enveloppe ne convienne plus, au fond nous sommes des serpents ou des homards qui doivent muer de manière continuelle, soit que cette enveloppe, et ce qu’elle contient, soit particulièrement atteinte.
Vous entrez dans certaines périodes de votre vie comme un accélérateur de particules ou une grande lessiveuse, c’est une question de point de vue et de bosses ressentis au cours de la séquence.
De ce point de vue, le lambeau de Philippe Lançon est une étude magistrale sur ce qui se joue en nous, sur cette identité en permanence reconstruite, cette réappropriation sans fin de ce que nous sommes. Récit autobiographique, il ne porte pas tant sur l’attentat de Charlie Hebdo dont Philippe Lançon est un des rares survivants que sur les conséquences de celui-ci sur ce qu’il était, est, puis devient.