Cela devait arriver. Le mariage contre nature du programme de français du baccalauréat et de celui de la téléréalité a engendré ses premiers enfants. Victor Hugo n’est plus un poète, un écrivain, un homme politique : c’est un connard qui vient de planter les condisciples des chtis à Hollywood par le seul fait qu’il aligne un sujet, un verbe et un complément pour donner du sens à une phrase. Ce siècle avait deux ans et déjà Jean-Edouard perçait sous Loana…
Le pauvre totor, pour cette génération, n’était tout au plus que le nom d’un collège, d’un lycée, d’une place ou encore le scénariste du Bossu de Notre-Dame…
Déchaînement sur les réseaux sociaux, buzz, et déjà, le trop fameux : ben, voilà, ma bonne dame, je vous l’avais dit que le niveau dégringolait. Et puis dans la sélection, les pseudos ne sont pas du tout marqués : Mouloud, Ptitbeur, FranckRibery… Derrière le buzz, on sent à peine la petite ou grande manipulation… Les réseaux sociaux déforment, c’est un fait et l’anonymat y permet d’user de toutes les ficelles grossières…
Alors, oui ou non faut-il faire d’une compilation de commentaires d’un hashtag la représentation du niveau atteint aujourd’hui ?
Oui et non. Réponse de normand, mais plus surement parce ce que la vérité n’est pas ailleurs mais la réalité est nuancée.
On touche à une question de déplacement des valeurs culturelles dominantes. La culture populaire atteint toutes les couches. Il est fini le temps où l’on cachait honteusement son amour de la culture télé. C’est le « main stream » désormais qui donne le la. L’Odyssée est devenu un souvenir vague, si ce n’est l’histoire de nono le petit robot et de Télémaque, mais interrogez un jeune sur la mythologie du seigneur des anneaux ou la geste de Star Wars et vous serez surpris de l'étendue de sa connaissance.
C’est aussi une question d’appréciation. Franchement, Du Bellay, vous en avez bavé à l’époque. Comme l’auteur de ces lignes. Qui ne trempait pas au quotidien dans la culture dominante classique. Le texte en vieux français pour dire qu’il regrette sa jeunesse, qu’il essaie de pécho en disant carpe diem à une meuf et qu’il aime bien les soirs au coin du feu dans sa tanière, fallait se gratter la tête pour rendre une dissertation qui disséquait la chose. On ne le traitait pas de connard certes, mais on ne le portait pas dans notre cœur. Sauf quand Brassens les mettait en musique les poèmes des classiques. Là, ça devenait quelque chose. Versifiez Hugo en rap, vous verrez, si ça explose pas tout !
S’il faut maintenir une exigence, et un socle commun de savoirs et de connaissances, il est tout aussi nécessaire d’adapter leur contenu, sauf à vouloir maintenir une sélection et une reproduction sociale qui ne dit pas son nom, à quelques exceptions, certes non négligeables, mais minorité tout de même.
Alors je le dis haut et fort, Joachim, tes poèmes, ils sont chouettes, j’ai fini par me laisser rattraper par leur beauté mais t’as vraiment été un batard, t’aurais pu lé crir an SMS ton eu vre !
Dans la vie, quelques centimètres de plus ou de moins, quelques secondes de plus ou de moins et c’est l'ordre naturel des choses qui s'en trouve bouleversé… Non lecteur, nous ne parlons pas là des errements de l’industrie cinématographique dont Rocco Siffredi et Clara Morgane sont les dignes représentants, mais de ces quelques centimètres, de ces quelques secondes qui peuvent changer la face du monde ou le destin d’une vie.
C’est ce que Thomas Piketty peut vérifier chaque jour. L’économiste, récent auteur d’un capital au XXIème qui fait un tabac aux Etats-Unis, est invité par les grands de ce monde pour échanger sur sa thèse pendant qu’en France, à l’exception de quelques cénacles pas forcément proches des partis de gouvernement, la seule question économique qui intéresse est l'impact du forfait de Franck Ribéry sur le parcours de l’équipe de France.
Comme le dit l’adage qui n’en est pas un, une petite Samba, et ça repart. Une bonne coupe du monde de football va permettre à l’élite de souffler un peu. Après tout, elle a aussi droit à des vacances, le commun des mortels n’imagine pas ce que c’est de dilapider la richesse commune, courir après un profit qui se fait plus rare, tenter de gagner une élection, tenter d’expliquer pourquoi on l’a perdu, gérer l’aléa démocratique. Bref, il était temps que les regards se tournent vers le Brésil, en prenant bien soin de cacher les problèmes sociaux qui y font l’actualité pour ne pas gâcher la magie de la fête.