La tendance de la rentrée, au-delà des marronniers sur l’école et la reprise du travail, et par-delà même les commentaires que peuvent inspirer des pièces de tissus et leur interdiction, est de déclarer sa candidature à l’élection présidentielle. Marasme ambiant oblige, tout le monde pense être la solution aux problèmes de notre temps, sans se rendre compte que beaucoup n’en sont que la source.
Bref, ça se déclare dans tous les coins, ça se positionne à tout bout de champs, ça propose comme dans le premier marché venu, et ça s’insulte comme dans une vulgaire bagarre de bistrot en fin de soirée. Il y a ceux qui veulent gagner une primaire, ceux qui souhaitent s’en passer et beaucoup qui sont entrés là en voyant la lumière et l’agitation. Dans son coin, tapie dans l’ombre, l’extrême-droite se lèche les babines devant l’odeur du sang et la vision de la mêlée confuse.
Joueur, l’auteur de ces lignes s’est dit, pourquoi ne pas participer également à ce jeu pour comprendre ce qui pousse tant de ses congénères à se lancer dans l’aventure. N’ayant pas trouvé de nègre pour écrire un livre sur le pourquoi il est évident que c’est moi, vous devrez vous contenter de ces quelques paragraphes à suivre.
Et sans modestie aucune, cela ne pourrait pas être pire que ce que nous avons déjà pu apercevoir d’un spectacle aussi affligeant que médiatisé à outrance.
Je fais donc acte de candidature et par un effet rhétorique emprunté au vainqueur de 2012 et battu de 2017, je déclare que moi président, il ne sera pas possible de me battre lors de l’élection présidentielle en 2022.
Moi président, j’organiserai un référendum proposant d’interdire le cumul concomitant et successif des mandats, notamment dans le temps, en l’appliquant immédiatement à moi-même. Sans la pression ou la folie de la réélection, le champ politique et l’action publique seront plus saines. Pourquoi un référendum ? Pensez-vous que les concernés par le cumul des mandats sont-ils les plus à même de prendre la bonne décision ? Vous partagez mon avis, ils ont besoin de notre aide pour se désintoxiquer comme le premier drogué venu. Un nouveau statut de l’élu sera proposé, pour rappeler qu’un mandat n’est qu’une fonction de représentation et non une activité professionnelle, une fonction publique qui exige la même probité et le même casier judiciaire vierge que pour le plus petit des commis de bureau fonctionnaire de son état.
Mais déjà, mes adversaires viennent de m’affubler de l’adjectif de populiste par cette première proposition. La campagne commence mal, avec l’establishment qui tente de décrédibiliser ma candidature qui pourrait l’empêcher de tourner en rond. Foutu pour foutu, autant aller au bout de ma déclaration et de mes propositions.
Donc moi, une fois devenu ex-président, je ne souhaite pas devenir une charge au-delà du nécessaire pour le contribuable. Les fonctions présidentielles, aussi prestigieuses qu’elles puissent être, ne sauraient donner lieu à l’octroi d’avantages particuliers et de prébendes à vie, si ce ne sont celles relevant du droit commun, c’est-à-dire un salaire et des points retraites, après avoir cotisé comme tout un chacun aux caisses idoines mais également à celles du chômage et de l’assurance maladie. Après tout, le président n’est que le primus inter pares le temps de son mandat, n’étant que le représentant de la volonté populaire sur un temps et des matières donnés. Si du fait de sa fonction passée, il est un personnage exposé pouvant faire l’objet d’une protection, il n’a pas de besoin supplémentaire, bureau, secrétaires, voitures, etc... Après tout, une fois au chômage ou à la retraite, le citoyen normal rentre chez lui les mains dans les poches, et avec un peu de chance, une carte postale signée de ses collègues. La normalité quoi…
Deuxième point de mon programme, sans déclarer à tout va que mon ennemi est la finance, formule vague qui ne pointe pas la réalité incarnée d’une oligarchie de chair et d’os, je n’en proposerai pas moins à sa mise au pas, en travaillant à une refonte de l’Union Européenne, qui doit un être un espace démocratique pour les choix collectifs et réversibles des citoyens qui le compose et non la lex mercatoria qu’elle est plus que jamais. Il sera également proposé une séparation du monde des affaires et des institutions publiques, du financement de l’économie de la spéculation. Une laïcité de l’économie en quelque sorte. Les initiatives en matière d’économie sociale et solidaire, de propriété collective des moyens de production, seront promues et accompagnées.
La transition économique et écologique, dans un cadre européen, devra faire partie des priorités, bien plus que l’édiction d’une législation assurant le primat de l’économique sur la société. C’est une nécessité et un préalable pour construire l’indépendance des citoyens. L’indépendance énergétique, pour ne prendre que cet exemple, peut et doit passer par la promotion des énergies renouvelables et la frugalité en matière énergétique. C’est un truisme mais tout est dans tout. Continuer à servir les lobbies d’hier, c’est poursuivre les choix du passé et continuer à alimenter les maux dont nous souffrons aujourd’hui et qui seront pires encore demain. Les questions d’approvisionnement des filières énergétiques (l’uranium, le pétrole) et de diplomatie (pétrole contre armes militaires) sont au cœur de ces enjeux, et assurer la transition énergétique, c’est lutter contre le réchauffement climatique, offrir une transition économique et mettre fin aux contradictions et hypocrisies qui conduisent à passer sous silence et financer certains régimes qui ne nous ne veulent pas que du bien. Plutôt que de laisser persévérer et maintenir les subventions publiques à EDF pour la construction de nucléaire dit de dernière génération, je m’engage à réorienter cet argent dans la production d’énergie renouvelable et des plans d’économies d’énergies, sans compter le démantèlement du parc nucléaire, aujourd’hui renvoyé aux calendes grecques et sur les épaules des générations futures. J’entends déjà les lobbies crier aux loups, me traiter d’inconscient et d’incompétent, de rappeler que la vie et surtout l’économie sont plus complexe que cela et dévoilent déjà un chantage à l’emploi, souvent rebattu, quand il s’agit de légiférer, comme si une transition consistait à mettre la clé sous la porte du jour en lendemain, sans passer par la case transition justement. Les cons, ça ose tout et c’est même à cela qu’on les reconnait comme pointait justement Lino Ventura dans les tontons flingueurs.
Moi Président, j’annonce qu’il n’y a pas de fumée sans feu et que les politiques étrangères et économiques ont des incidences sur la politique intérieure et que nous devons assumer les conséquences de nos actes ou bien changer d’action. Qu’en matière de mondialisation, qui peut être une véritable chance pour l’humanité en général et chacun des individus en particulier, il faut accepter de prendre en compte tous ses aspects et de corriger ses défauts, en ne la laissant surtout pas être l’instrument de l’économie, des multinationales et de quelques individus. L’ouverture sur le monde n’empêche pas de penser et de vivre local, et les relations entre les deux doivent être pensées, les citoyennetés doivent pouvoir s’accumuler et non s’opposer. Les crises migratoires sont durables et fermer les frontières n’est pas plus réaliste que concevable. Il faut le marteler, la migration est consubstantielle de l’humanité : à peine homo sapiens a-t-il su marcher qu’il a voulu migrer. L’accueil des migrants, la recherche et la lutte contre les causes des départs des migrants, voilà le programme à se fixer et la seule voie réaliste et protectrice des individus et non pas vendre les armes et faire les compromis qui provoquent les conflits et jettent de pauvres erres sur les routes.
Moi président de la République, je m’engage à ne pas confondre l’intérêt général et mes intérêts particuliers et à ne pas faire financer ces derniers par le contribuable et à ne pas me faire livrer plus d’un sondage d’opinion par semestre. Oui, vous avez bien lu. Les officines de sondage font déjà le siège de la permanence que je n’ai pas pour crier à la démagogie et au complot. La presse crie à l’atteinte aux libertés et annonce déjà qu’elle redoublera le nombre de sondages commandés et ne se gênera pas pour les commenter, parce que le travail d’investigation n’est pas à prendre à la légère.
Mais m’enfonçant un peu plus dans la démagogie et un programme irréaliste et dangereux que pointent d’un doigt rageur mes adversaires, moi, président de la République, je déclare que j’isolerai un appartement privé au sein du palais de l’Élysée pour pouvoir payer un loyer et les charges nécessaires au fonctionnement de mon logement. Je m’engage en outre à me raser la tête moi-même pour économiser l’embauche d’un coiffeur et qu’en dehors des diners protocolaires, je m’engage à faire mes repas moi-même et à ne jamais oublier de manger cinq fruits et légumes par jour.
Moi président de la République, je m’engage à ne pas proposer une évolution législative à chaque fait divers ou émotion traversant le pays. La tâche ne sera pas simple, la pression sera forte, les campagnes médiatiques seront orchestrées pour me faire flancher mais je tiendrais le cap en prononçant trois lettres : N O N. Je m’engage ainsi à laisser du temps au temps avec la conséquence de prêter le flanc à la critique, ce qui sera d’autant moins préjudiciable que je n’aurais pas à me faire réélire.
Moi président de la République, je promouvrai une organisation fédérale de l’État, du bas vers le haut. Les territoires et les habitants qui les composent doivent pouvoir gérer leur destin, dans un cadre commun plus large. Les mesures de non-cumul dans le temps des mandats seraient étendues aux mandats locaux et les élections des exécutifs et des assemblées délibérantes seraient découplées pour faire vivre une démocratie représentative de la persuasion et de la délibération plutôt qu’une démocratie du fait majoritaire.
Moi, président de la République, sans prononcer le nom de grand soir fiscal, ferai de la remise à plat fiscale un axe important de mon action, en France et surtout en Europe : l’Europe, pour être démocratique, doit être fiscalement intégrée et qu’un ancien premier ministre d’un paradis fiscal ne saurait se retrouver à la tête de la commission. Les impôts doivent être clairs, justes et équitablement répartis, les paradis fiscaux doivent mener à l’enfer de ceux qui souhaitent les utiliser, la politique pénale particulièrement exemplaire à l’encontre des fraudeurs : la racaille en col blanc doit être « karchérisée », l’état d’urgence décrété contre les fauteurs de trouble financiers.
Ce qui conduit à évoquer les questions qui traversent la société actuelle et que mes concurrents pensaient que je n’aborderais pas, me traitant par avance de laxiste, d’irresponsable et même pour certains de suppôt du terrorisme (il est important de se désigner des adversaires pour se donner une forme de crédibilité dans un processus électoral, cela permet de se donner soi-même de l’importance). Les membres de la société actuelle sont déboussolés, le sens de ce qui fait notre commune humanité est parfois oublié, les assignations à identité cachent un délitement économique et social, où l’enfermement communautaire a pris le relai d’une solidarité universelle et l’intégrisme se nourrit des peurs et frustrations d’individus en perte de repère. Le combat contre le terrorisme et la délinquance passe par plusieurs canaux et surement pas par celui des déclarations guerrières et outrancières, des airs du temps martiaux. Il y a une réponse judiciaire et policière à poursuivre, il y a des réponses sur les causes à apporter, celles-ci sont économiques, sociales et internationales, pour que l’identification à une idéologie totalitariste ne devienne pas la seule échappatoire pour se voir reconnu comme individu. La question de l’insertion citoyenne, économique et sociale passe plus que jamais par l’accès à l’éducation et la reconstruction du système institutionnel sur des bases égalitaires, solidaires, dans des territoires déghettoïsés. Il y aura plus de résultat dans la lutte contre le terrorisme en arrêtant de faire affaire avec les pétromonarchies et en réassurant une mixité sociale réelle qu’en menant des polémiques sur la manière de s’habiller d’une femme à la plage, prescriptions légales vestimentaires que seules les théocraties se permettent par définition, étant régies par une religion d’État et une place des croyances religieuses dans la conduite des affaires publiques. Autrement dit la laïcité doit être un outil pour faire ensemble, qui respecte la liberté individuelle et les principes collectifs et qui ne peut donner des résultats qu’accompagnée de profonds changements économiques et sociaux. C’est moins vendeur qu’une phrase choc et une photo de bataillons de policiers, moins médiatique qu’une polémique et plus long pour en récolter les fruits mais penser qu’avec trois lois et deux décrets des années d’errements politiques seront résolues, c’est prendre l’électeur pour un jambon, qui parfois, il faut l’avouer, apprécie de raisonner ainsi à force de se l’entendre dire.
Avec un programme comme celui-ci, j’espère, sur un malentendu, pouvoir glaner une ou deux signatures pour me parrainer. Décrocher une interview de 3 secondes sur une radio locale, puisque tout le monde n’est pas un Emmanuel Macron pour qui le tapis rouge médiatique est sorti sans même qu’il n’en exprime la demande, ni même qu’il déclare sa candidature.
Avec ce programme donc, espérons que quelques citoyens s’y reconnaîtront, quand on se sent moins seul, nous conservons une lueur d’espoir que tout n’est pas perdu. Pour ce qui est de l’échéance de 2017, nous le savons, seuls des gens sérieux pourront concourir, ceux qui ont fait l’effort d’entrer dans la compétition politique, ceux qui ont pris sur eux en acceptant les logiques partidaires, ceux ayant accepté les compromis et peut être même les compromissions, ceux ayant accepté quelques mensonges parce que la fin justifierait les moyens, ceux qui pensent que les rêves doivent se conformer à une forme de réalité et non l’inverse, ceux qui ont misé sur la construction d’un réseau plus que sur la formation intellectuelle et pratique d’une pensée, bref, des gens biens, cette poignée de héros qui comprend bien mieux le monde que le commun des mortels, qui sait qu’il n’y a pas d’autre alternative que celle qu’ils proposent et qui, fidèles à la pensée Shadoks décrètent que si ça n’a pas marché jusqu’alors, ce n’est pas parce qu’ils auraient eu tort mais parce que nous n’aurions pas été assez loin. CQFD. Ma campagne, à peine commencée au début de cette chronique semble pourtant déjà sans issue, sans les qualités énumérées à l’instant et je suis au regret de me retirer de la compétition électorale, me rappelant qu’il y a des choses plus sérieuses qui m’attendent, c’est-à-dire faire société, comme tout un chacun, en me demandant dans quel état nous retrouverons notre société dans moins d’un an.