Comme à Carnaval, avec la crise sanitaire, les masques ne font pas que protéger une partie du visage, en cachant une part de soi, ils découvrent aussi la personnalité de ceux qui les portent. Il y a là une psychologie ou peut-être même une anthropologie du port du masque à réaliser, dans une geste autant scientifique qu’humoristique.
Le masque autant que sa manière de le porter sont comme des indices qui constituent une description de la personne que nous avons face à nous. Les catégories seraient nombreuses, presque autant que d’individus.
Il y a d’abord les exhibitionnistes, qui montrent nez, bouche et menton sans en demander la permission, les naturistes, portant le masque au quotidien mais l’ôtant dans certains lieux partagés. A l’opposé, il y a les pudiques, portant un masque bien trop grand qui pourrait être pris pour une toile de jute couvrant une grande partie de l’ensemble du visage. Il y a les mal fagotés, portant le nez découvert, dont nous avons intégré collectivement l’absence d’esthétisme et la comparaison avec un pénis porté en dehors du slip. Il y a ceux qui remontent le masque comme on remonte une paire de lunettes sur le nez, entre inadaptation nasale et toc non contrôlé.
Il y a le masque lui-même, jetable ou en tissu, acheté dans le commerce ou fait main, il y a le tissu neutre et unicolore ou au contraire zébré et bariolé, revendicatif à l’occasion, le masque slogan ou message…. Autant de variations autour d’un même thème. Le masque est devenu une pièce d’apparat comme la mouche sur la joue a emporté les cœurs au 17ème siècle et il met un voile sur les caractéristiques que certains sont bien heureux de ne plus montrer à la terre entière. Et il faut le dire, ceux dont le regard est envoûtant, les yeux craquants, sont les grands gagnants de cette obligation de port du tissu nasal et labial, quitte à décevoir quelque peu quand le masque est enlevé....
Avec cette nouvelle culture, c’est une étude grandeur nature de la personnalité humaine que le coronavirus nous offre. A la fin des années 80, il y avait les pin’s et la banane ceinture, mais le caractère non obligatoire de leur port n’a jamais permis de valider certaines conclusions, l’échantillon n’étant pas représentatif, des pans entiers de la population ignorant jusqu’à l’existence même du pin’s parlant ou de la banane ceinture sponsorisée par certains fournisseurs de spiritueux à base d’anis.
Avec l’obligation du port du masque, la question des pratiques, des croyances, celle de l’insoumission à l’autorité (ou d’une forme de je menfoutisme dans certains cas) se découvrent au grand jour. Un laboratoire grandeur nature de la manière dont une société s’empare d’une prescription et s’y conforme.
Il y a quelques notes d’optimisme dans le port du masque. Globalement, les gens respectent cette prescription non pas tant par la peur du gendarme ou pour eux-mêmes que pour les autres, ce qui tendrait à montrer que l’empathie et la solidarité existent encore en ce bas monde.
Et il y a tout autant des lueurs d’espoir dans ceux qui ne le portent pas, paradoxalement. Il y a là une forme de résistance qui est le signe d’une société qui n’est pas complétement perdue et atavique. Il faut un quota de résistance dans une société, ça maintient la flamme du débat et de la démocratie, contre le panurgisme et l’apathie qui frappent les opinions.
Et cette pièce de tissu, dans la manière de l’appréhender, est certainement le plus grand reflet de la société de ces dernières années. Dans quelques décades, quand les historiens se pencheront sur cette période, ils seront bien inspirés de réaliser une étude approfondie du masque, elle renseignera leurs contemporains sur cette drôle de société qui était apparue en 2020…