Le chroniqueur, devant sa feuille blanche, commence à écrire sur un sujet, puis sur un autre, sans jamais terminer une foutue note. Il remet à demain cet exercice, qu’il remettra au surlendemain dès le jour d’après. En un mot, le chroniqueur est atteint de procrastination. Cette faculté de repousser toujours plus loin que le présent les taches qu’il devrait faire là, tout de suite, tant que le fer est encore chaud pour le battre. Et que celui qui n’a jamais procrastiné me jette la première pierre ! Aïe ! Bon d’accord, peut être toi, lecteur, au fond à droite mais tu es bien l’exception qui confirme la règle.
L’humain procrastine depuis la nuit des temps, la paresse a été livrée avec le premier modèle. Adam n’en foutait pas une dans l’Eden, il n’a pas changé de ligne après en avoir été chassé. C’est d’ailleurs pour ne plus avoir à faire que l’Homme a inventé le progrès technique, l’esclavage et avec l’abolition de ce dernier le salariat. Faire faire, ne plus avoir à faire. Sans cette aptitude à remettre au lendemain et aux autres, les hominidés seraient encore nus dans la savane et ne connaitraient pas la joie que procurent le métro, la religion, la crise financière, plus belle la vie ou encore les états d’âmes politiques d’une première dame de France sur son engagement à gauche. Heureusement pour l’Homme moderne, Homo Erectus, et tous ceux qui lui ont succédés, est né avec un poil dans la main. Sans ce dernier, pas de poésie, pas de culture.
Et je vois déjà les yeux du lecteur rouler dans tous les sens : dis donc Coco, tu nous dis que la paresse engendre la création ? En plus d’être procrastinateur, tu n’es qu’un imposteur fieffé chroniqueur !...
Attendez que je m’explique – même si j’avoue, je préférerais qu’il n’en soit pas ainsi et que l’on traite cela plus tard.
Ne cherchant pas à seulement survivre et perpétuer l’espèce même s’il y prend un plaisir bien compréhensible sur ce dernier point, le paresseux a le temps de cogiter, d’aspirer à, et prend nonchalamment un bout de charbon et fait des mickeys au mur, tape sur un arbre creux avec un bâton en attendant que ça passe et découvre avec stupeur que c’est beau. Inutile mais beau, sans s’obliger. Faire par plaisir. Découverte étonnante. Qui distingua d’emblée l’homme du reste de la vie sur terre. A l’exception du bonobo bien entendu, dont l’onanisme bien connu et si souvent répété semble être ce qui s’apparente le plus à cette belle qualité que l’Homme porte en lui : c’est naturellement un branleur.
Mais le chat, est ce qu’il procrastine lui ? La réponse est simple, il n’a pas la conscience de. Et à vrai dire, il n’a pas d’obligation si ce n’est de manger et se reproduire. Car la procrastination apparaît avec les obligations que l’humanité s’impose : écrire à mère-grand, changer le monde, régler ses impôts, constituer un patrimoine qui dépasse largement ce dont un homme normalement constitué a besoin, livrer une chronique…
Heureusement, l’Homme est enfin réconcilié avec lui-même, il a désormais les outils qui lui manquaient dans sa quête pour remettre à demain de ce qu’il devrait faire maintenant pour s’enfoncer dans le confort de l’inutilité : Facebook, youtube et les autres…Ah, ce que c’est bon de procrastiner en réseaux…on se sent moins seul et coupable…