On a peine à y croire, mais le breton enjolive, malgré la cuisine au beurre. C’est un atavisme culturel peu connu, et pourtant l’habitant de la péninsule armoricaine n’est pas moins baratineur que le marseillais, moins bonimenteur qu’un arracheur de dents. Et comment prouver scientifiquement ce particularisme que l’on retrouve dans toutes les cultures et chez tout un chacun, cette fameuse propension à faire briller une réalité un peu fade en la réinventant quelque peu si ce n’est en s’appuyant sur la presse !
La lecture du Télégramme et de Ouest-France, au-delà des qualités intrinsèques de ces deux quotidiens dont un billet avait déjà présenté les caractéristiques, regorge de feuilles mémorables dans lesquelles un âne se retrouve dans la peau d’un cheval de course, un escargot dans celle d’une espèce rare et exotique, un vague quidam n’ayant rien vu d’une scène le témoin principal de celle-ci par le seul fait qu’il est breton, et d’une manière ou d’une autre, un breton, parce qu’il est breton ne peut être que le roi des Amériques et même d’ailleurs.
La palme de l’été 2013 revenant à un reportage sur la présence d’un étudiant américain à Combrit, charmante station balnéaire situé en pays bigouden, venu là pour y réaliser un stage de quelques semaines auprès de l’unique policière municipale de la commune. Cet étudiant américain, qui souhaiterait un jour présenter le concours d’entrée au FBI, et qui sait, peut-être même le réussira-t-il, a inspiré au journaliste ce titre inégalable : le FBI se forme en Bretagne. C’est culotté, un brin tapageur mais ça marche et tout le monde est content : le quidam achète le canard, l’étudiant américain connaît son quart d’heure de gloire de ce côté-ci de l’Atlantique et les grandes oreilles de la NSA ont du bien se marrer en traduisant le titre, à moins que n’ait été trahi le secret-défense par ce reportage. Après Wikileaks et l’affaire Snowden, le Brezhougate pointe le bout de son nez. Parce qu’après tout, il n’est pas totalement inenvisageable que les américains puissent avoir fait de la Bretagne, à l’instar de Merlin et des légendes arthuriennes, la base arrière propre à la réussite de n’importe quelle équipée. Nous pouvons d’ailleurs l’annoncer, la prochaine franchise des Experts sera CSI-Festival Interceltique de Lorient, dans lequel un homme a été retrouvé mort, le corps planté de biniou et le nouveau spin-off de NCIS se passera entre l’Ile-Longue et Brest, avec un premier épisode narrant les aventures d’un ministre de la Défense qui a perdu une partie de son budget et qui cherche à le retrouver…
Oui, il est vrai que le Breton est passé maître dans l’art de faire passer des vessies pour des lanternes diront les moins aimables, ce que les amoureux de la péninsule préfèrent plutôt présenter comme une tendance à sublimer l’ordinaire. Au final, le résultat est le même, celui qui permet de faire croire que c’est parce qu’il y a de la pluie que la Bretagne est belle, qu’une nuit de fest-noz est le must de la topitude, que le seul pâté digne de ce nom sur terre est celui du mataf et que le rattachement de la France à la Bretagne est un fait historique.
Toujours dans la presse, cette aptitude à faire d’un lien même ténu avec la Bretagne le centre de l’univers pour quelques minutes constitue un délice quotidien dans les portraits et autres enquêtes. Le grand jeu est de trouver les ascendances bretonnes des plus ou moins grands de ce monde, quitte à remonter à Adam et Eve, mais on finit toujours par tomber sur un vieil ancêtre un peu breton sur les bords et si tel n’est pas le cas à évoquer le voyage en bretagne d’un aïeul, qui aurait passé une nuit dans telle ville, ce qui prouve bien le lien indéfectible qui lie le VIP et la Bretagne. Le nouveau Roi des Belges ? un peu breton (le télégramme du 24 juillet 2013), le royal baby de Kate et William ? un peu breton (le télégramme du 23 juillet), Albert de Monaco ? On fait pas plus breton… Johnny Halliday ? Un jour, un breton l’a coiffé, si c’est pas un signe de proximité culturelle… Christophe Colomb, s’il n’avait pas été Génois aurait été Brestois… Tiens d’ailleurs, pour être si bon navigateur, il est obligatoirement passé par Port la Forêt, réservoir de champion du Vendée Globe, autrement ça ne tient pas deux minutes de dire qu’il a découvert les Amériques…
Alors que les Vikings, c’est en cherchant à rejoindre la Bretagne pour les vacances d’été à la fin du IX° siècle après JC qu’ils ont poussé jusqu’en Islande, au Groenland et en Amérique du Nord. Sans cette envie irrépressible de manger une crêpe au blé noir à Perros-Guirrec, qu’auraient fait des scandinaves si loin de leur port ? Et là tout s’enchaine, la conquête de la Normandie, pour se rapprocher de Dinard et Saint Malo, Guillaume le Conquérant, Hastings, la rivalité franco-anglaise, les colonies américaines, les USA, le FBI, un étudiant américain en stage auprès de la police municipale de Combrit… la boucle est bouclée, ne cherchez pas plus loin, tout ramène à ce morceau de terre accroché au continent européen… Si la Bretagne n’existait pas, le breton l’inventerait…