« Pour arrêter les naufrages de migrants il n’y a qu’à s’attaquer aux passeurs ». Il y a des raisonnements qui sont si limpides qu’ils en sont suspects. Le raisonnement simpliste permet de botter en touche. Face à un problème complexe, réduire le champ des possibles à une action relève au mieux de la légèreté, au pire d’une pensée mal cachée. Si vous éliminez un passeur par ci, les candidats à une nouvelle vie trouveront toujours quelqu’un par là pour profiter d’eux en les faisant passer, coute que coute, contre espèces sonnantes et trébuchantes.
S’il faut, bien entendu s’attaquer aux trafics des passeurs, la traite humaine étant une abomination, il n’en reste pas moins que la problématique des migrants ne se résume pas à une politique de l’offre par de sombres escrocs profitant de la détresse des candidats à une nouvelle vie. C’est un problème global, c’est un problème complexe.
Rarement, se pose la question du migrant, de ses motivations. Il n’est qu’une statistique tragique quand vient à couler un rafiot surchargé. Le nombre déshumanise l’individu et les préjugés présupposent les motivations du migrant à sa place : mais non, son but n’est pas d’émarger au RSA et de faire beaucoup d’enfants pour toucher les allocations familiales…
On ne quitte jamais sa terre natale par plaisir. Il y a bien quelque aventurier mais les candidats au départ s’arrachent plus qu’ils ne quittent délibérément la terre où ils vivent.
A la base de l’émigration, il y a le plus souvent des problèmes économiques, des états de guerre (vous seriez surpris du nombre de belges s'étant installés en France pour cause d'invasion allemande durant les deux guerres mondiales). Il y a aussi parfois des persécutions. On quitte une situation infernale autant qu’on cherche une opportunité d’avoir une vie meilleure, un avenir. Les termes de l’échange inéquitable entre le nord et le sud, la déstabilisation de zones entières du monde après que les cadres étatiques aient volé en éclat, multiplient les déplacements de population. Les conséquences du réchauffement climatique vont, elles aussi, mettre sur les routes migratoires des millions de personnes.
Ironiquement, ceux qui veulent empêcher aux migrants d’accéder aux frontières de l’Europe sont ceux-là même qui prônent la mobilité de leurs concitoyens, pour se construire des opportunités, faire face à la concurrence farouche du marché du travail.
Mondialiser l‘économie, la financiariser sans frontières fait partie de l’idéologie dominante des élites mais seul le profit a le droit de passer d’un Etat à l’autre. Partager la richesse ne fonctionne qu’à sens unique.
L’Europe se constitue en forteresse, sur un projet politique qui ne l’honore pas, se fermer sur elle-même, incapable d’offrir l’universalité qu’elle prône en se référant à une histoire politique qui va d’Athènes à la réconciliation franco-allemande en passant par les lumières et le renouveau de l’esprit démocratique.
Le symbole de l’Europe aujourd’hui, c’est la frontière qui redevient ce qu’elle est étymologiquement, le front du front de guerre, chaque Etat se refilant la patate chaude des conséquences des crises humanitaires à répétition.
A globaliser le monde, il faudrait pourtant en accepter toutes les facettes. La libre circulation des capitaux et des marchandises ne peut avoir comme corollaire que la libre circulation des Hommes.
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Première idée reçue à combattre : il n’y a pas de hordes assiégeant l’Europe. La majorité des migrations se font entre pays du sud.
Deuxième idée reçue : ce n’est pas un phénomène nouveau. L’histoire de l’humanité n’est qu’un vaste mouvement de déplacement que la sédentarisation n’a pas affaibli. Ainsi va le monde et vont les hommes et les femmes. Ils vont là où le travail existe, là où la guerre ne se fait pas trop entendre.
Troisième idée reçue, les migrations seraient toujours à sens unique, du nord vers le sud. L’occident a connu des vagues d’émigration, parfois organisées par les Etats européens eux-mêmes. Aller vers d’autres horizons pour tenter d’améliorer un quotidien qui ressemblait à une voie sans issue. Si la fête la plus connue de New York est la Saint-Patrick, c’est le fruit d’une vague d’émigration irlandaise pour fuir une situation catastrophique de l’île d’émeraude.
Ces migrations continuent, il y a ainsi autant de français à l’étranger qu’il n’y a d’étrangers en France. Etonnant non ?
Enfin, la question de la migration est comptabilisée du point de vue des rapports d’Etat à Etat. Mais nombreuses ont été ou sont encore les migrations infra-étatiques. Les bretons au XIXème et XXème constituent un exemple intéressant. A Paris, ils étaient perçus comme de parfaits étrangers, à la langue et aux mœurs singulières, bêtes et repoussants. Les migrants d’aujourd’hui en somme dans les discours xénophobes.
L’immigration n’est pas à réduire à la question des passeurs. Elle nécessite une réflexion approfondie sur la question des termes de l'échange économique. Elle nécessite surtout de ne plus en faire seulement une statistique. Derrière chaque migrant, il y a un individu, une histoire, une vie, un peu de l’histoire et de l’état du monde. Appréhendée avec humanisme, la question des migrations doit conduire à s’interroger sur les causes et non pas à chercher à cacher les conséquences.
Nous sommes tous des enfants de migrants, nous sommes tous des migrants potentiels, de par notre humanité, nous sommes par essence migrant, de passage seulement.