Il n’y a rien de plus universel que le fait religieux, cette recherche d’une transcendance qui traverse le temps et l’espace. Il n’y a rien de plus relatif que la religion, institutionnalisation par les Hommes de ce fait religieux. Et il n’y a rien de moins connu que l’histoire du fait religieux et des religions. En ces temps où se multiplie l’intolérance à l’égard du fait religieux mais où se multiplie parallèlement, au nom d’une croyance, la haine, le rejet, les discriminations et dans des dérives ultimes, des meurtres, la méconnaissance du fait religieux par ceux qui le combattent et ceux qui s’en réclament ne peut durer plus longtemps.
Se voiler la face en niant le caractère puissamment structurant du fait religieux dans le comportement individuel ou collectif ne peut que renforcer le caractère déjà prégnant de la chose et conduire à déliter un peu plus le vivre ensemble. Entre le rejet pur et simple du fait religieux (mais aussi de la revendication de l’athéisme) et la politique de l’autruche, il y a un équilibre à trouver pour assurer la liberté de conscience sans tomber dans l’intolérance, en rappelant les principes fondamentaux auxquelles la soumission à une croyance religieuse ne saurait faire déroger.
Dans une société où la transcendance, le sens de l’existence, ont parfois disparu, le fait religieux est un puissant adjuvant pour tenter de survivre en milieu hostile. Il donne une identité, il procure une appartenance, il offre un espoir que tout ici-bas n’est pas complètement absurde et inutile : après la vie, une possibilité d’outre-tombe, pour mieux supporter l’existence quotidienne.
Nos transcendances laïques, temporelles, ont été mises à mal, notamment par le marché. Égalité et solidarité sont dévalorisées, tandis que nous aliénons nos libertés dans une servitude volontaire qu’avait si bien décrite La Boétie. Le fait religieux vient combler un vide : les récits d’enchantement du monde ont disparu ou sont inaudibles. La première des mesures est de reconstruire ces grands récits d’enchantements basés sur l’égalité, la solidarité et le respect de l’environnement. Mais il faut se préoccuper également du fait religieux.
Lentement mais incidemment, le vivre ensemble s’efface derrière les convictions, l’identité des personnes ne se cherche plus dans ce qui est commun mais dans la différence, la loi (prétendument) divine conteste le leadership à la loi des Hommes, chacun ne s’intéressant qu’à la vérité qu’il compte suivre.
La méconnaissance du fait religieux, de l’histoire des religions et de son implication dans l’histoire conduit à une forme d’autisme et de montée en puissance de l’intolérance. Dans sa mission pour faire d’enfants des citoyens, la société dans son entier se doit de développer ce volet, au travers de son bras armée qu’est l’éducation nationale mais aussi dans les administrations publiques, les entreprises ou encore les lieux de loisirs. Dans tous les établissements d’enseignements, publics comme privés, du primaire et du secondaire, la nécessaire éducation à l’histoire du fait religieux (et de l’athéisme) doit permettre de donner l’arrière fond culturel indispensable pour que les frontières de celui-ci dans la société soient bien connues et délimitées, rappelant les places respectives du profane et du sacré, et la nécessaire primauté du premier sur le second. C'est là une mission de service public dans sa plus belle acception.
Plus largement, il y a une éducation à la recherche et à la critique de l’information. Face à cet outil puissant qu’est le réseau internet, la question de l’éducation à la mise en perspective critique de l’information est plus que fondamentale. Ce n’est pas parce qu’une page web est très consultée que son contenu vaut vérité d’évangile, ce n’est pas parce qu’une vidéo est largement partagée qu’elle n’est pas un pitoyable montage tordant les faits, voire faisant dire à ceux-ci le contraire de ce qu’ils sont. Rien n’est pire que la rumeur s’appuyant sur un tweet reprenant un photomontage, une statistique sortie de nulle part. Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ! C’est le danger d’une information presque illimitée et foisonnante, nombreux sont les sites qui usent et abusent de cette formule dans leur contenu. Dans des sociétés complexes, l’accès à l’information n’est pas tout. L’éducation à l’accès et au traitement de l’information est fondamentale. Agir sur le monde, cela passe déjà par l’apprentissage de la lecture de celui-ci.
A l’heure où l’on se pose de nombreuses questions sur nos modèles de sociétés, voilà deux chantiers prioritaires, pour rendre aux individus une qualité étouffée par l'étiquette de consommateur ou de facteurs de production donnée ces dernières années : la qualité de citoyen…