Même chauve, tout un chacun devrait aller chez le coiffeur. C’est la même chose pour le bar-tabac-PMU. Un salon de coiffure, c’est l’occasion unique de saisir l’air du temps plus surement qu’un sondage d’opinion (il faut multiplier les sources, donc les salons ou les bars-tabacs-PMU).
Un président de la République découvrirait ainsi l’exaspération que suscite la classe politique (ça marche pour une grande partie du personnel politique à vrai dire). L’exaspération n’est pas sur un mode populiste, ce mot mis à toutes les sauces par les élites pour n’avoir pas à se justifier ou réfléchir en renvoyant toute critique à cet adjectif. Au contraire, la perception des turpitudes de nos gouvernants est on ne peut plus claire, froide, réfléchie. Par exemple, l’exaspération que provoque le fait des avantages non négligeables dont bénéficie le titulaire d’un poste électif, poste qui, rappelons-le, n’est qu’un mandat de représentation. Le citoyen lambda règle son coiffeur lui-même, et entre deux coupes, se coiffe par ses propres moyens, sans demander à son employeur ou à ses concitoyens une prime brushing.
Le citoyen lambda paie son loyer, ses factures d’électricité, de téléphone, et tout cela, pour le plus grand nombre, avec un SMIC ou à peine plus. Alors chez son coiffeur, le citoyen lambda, il trouve que c’est fort de café que d’entendre des responsables politiques pointer la prétendue irresponsabilité et le conservatisme des masses devant les réformes. Le citoyen lambda, chez son coiffeur, au fond, il dit ce qu’il n’ose pas toujours le dire dans les urnes : je ne vous crois plus mais j’y crois encore, sans trop savoir comment faire.
Dans un salon de coiffure ou un bar-tabac-PMU, pour le prix d’une coupe ou d’un café, les analyses sont parfois plus pertinentes que la logorrhée servie par des analystes professionnels en mal de prise avec la réalité. Prenez le Brexit et l’Europe, qu’y apprendrait le président ?
Il apprendrait que Boris Johnson, ministre des affaires étrangères de ce qu’il reste du Royaume-Uni, c’est comme un sketch des Monty Pythons qui deviendrait réalité. Mais qu’il ne faudrait pas se moquer trop fort, on a déjà vu aussi con, si ce n’est plus, dans des gouvernements de ce côté-ci du Channel (oui le quidam a l’humour vache). Que la tempête du « brexit » n’en finit plus de souffler mais que passées la stupeur et la fausse surprise, les déclarations sur le modèle européen à revoir, il n’y a pourtant là rien de nouveau sous le soleil : la chronique d’une sortie annoncée sur fond de grand gâchis et d’une grande incompréhension sur la portée du projet européen.
L’impensable se réalise parce que justement ne pas le penser a été un acte volontaire de la part de ceux qui semblent si surpris aujourd’hui. Les référendums se succèdent et le décalage entre le discours et l’analyse ne cesse de se creuser.
Un président, même chauve, y apprendrait qu’il n’y a jamais eu autant d’écart entre la perception des élites et la perception de la population sur le projet européen, la compétitivité des uns n’étant pas le bonheur des autres. Qu’en plus, c’est un juste retour des choses : les élites ayant soufflé le chaud et le froid au gré de leurs intérêts mais avec toujours un objectif en tête, permettre, au travers du projet européen de mettre à l’abri du suffrage universel un certain modèle de société, fondé sur la concurrence entre les individus et les États, elles ont allumé elles-mêmes la mèche d’un nationalisme bien sombre. Dans une analyse plus subtile qu’un éditorial mollasson et culpabilisant, l’élite politique qui descendrait dans l’arène entendrait que si le retour nationaliste est avéré, il n’est pas forcément toujours le reflet d’un nationalisme de repli, il traduit même pour certains une aspiration à une reprise en main démocratique des destins que le mécano institutionnel de l’Union européenne a sciemment empêché. Ce n’est pas la démocratie que le quidam rejette, c’est la captation par quelques-uns des mandats dans une lutte des places qui n’a rien de naturel.
Dans un bar-tabac-PMU, à quelques mots près, voilà ce que l’on pourrait entendre derrière des propos de comptoirs : Dans le oui à l’UE ou dans le non à l’UE, il n’y a pas une prise de position manichéenne. Il y a cinquante nuances de Brexit. Et c’est bien le fond du problème : s’il y a une convergence de la dénonciation de l’UE, pour des raisons parfois antinomiques, il y a une véritable difficulté à trouver un dénominateur commun à un projet politique. Le vivre ensemble ne se décrète pas par une libéralisation des marchés. C’est un échange quotidien. Une culture. Prenons la Suisse. Un pays multilingue, pluriconfessionnel (protestants, catholiques) et qui pourtant s’est construit patiemment. Une unité dans la diversité. À l’échelle de l’Europe, cette diversité est encore plus marquée et ce n’est pas le marché qui peut construire ce désir commun, surtout quand il organise la concurrence des uns contre les autres….
Dans un salon de coiffure, il y a également des commentaires sur le concours du foutage de gueule permanent auquel nous assistons, concours qui ne cesse d’avoir des candidats potentiels à la victoire finale. Dernière exemple en date avec l’affaire Barroso/Goldman-Sachs. De 2004 à 2014, Barroso a été président de la Commission. Au cœur de la tempête de financière qui a secoué le monde et l’Europe, il était à la tête de l’institution qui aurait pu proposer une régulation des marchés financiers plus coercitive pour le monde bancaire, largement à l’origine de la déflagration qui n’a été contenue que par l’intervention massive publique. Barroso s’est surtout inquiété que les États ne contrarient pas trop les marchés bancaires. Et que les peuples n’aient pas de velléités d’autonomisation démocratiques à l’égard des marchés. Pour les nombreux services rendus, GS vient de l’appointer conseiller. Il aurait pu refuser : définitivement, ce n’est pas l’intérêt général qui le conduit. L’ancien président de la commission est désormais banquier, l’actuel est connu pour avoir monté un système d’évasion fiscal au profit de son pays, le Luxembourg. Pour quelques-uns, le projet européen est vraiment intégrateur économiquement et socialement. Ils sont aussi antisystème que peut l’être un Macron, symbole de tous les paradoxes contemporains…
Pendant sa coloration, le président aurait été surpris d’apprendre que le pessimisme de la connaissance des dernières années n’est pas sans inquiéter : les discours du changement sont là pour masquer un renforcement des cadres existants, qui ne font qu’attiser les braises d’un retour de bâton nationaliste dans ce qu’il a de pire, celui du repli et de l’exclusion. Le Brexit est une mauvaise nouvelle, l’absence de Brexit aurait aussi été une mauvaise nouvelle, il aurait conforté l’arrogance d’une élite qui s’accroche à son joujou de vidage de contenu politique et démocratique.
Avec une infinie sagesse, les piliers de comptoir pourraient aussi l’avertir : il ne se passera peut être rien. Le Royaume-Uni cherche déjà à gagner du temps et l’Union Européenne se fait moins pressante. C’est ce qui est grave, faire comme si de rien n’était : les moteurs sont en feu dans l’avion, la seule chose que l’on fait, c’est éteindre le voyant lumineux qui avertit du danger pour ne plus le voir.
Dans une parodie d’une scénette des inconnus, le quidam dirait au président : Comme pour les bons et les mauvais chasseurs, il y a le bon et le mauvais nationalisme. Sans que la distinction ne soit toujours bien présentée -on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens- le personnel politique distribue les bons et les mauvais points, fait la leçon ou surfe sur ce concept. En matière d’Europe, le nationalisme est caca, mais en matière d’Euro (de foot par exemple), il faut s’y enfoncer avec force et délices. Pour servir des intérêts particuliers à court terme, nombreux sont ceux qui utilisent le ressort national, soufflent dessus et sont surpris quand l’incendie se propage et menace de tout bruler. Avec surprise, le président (ou tout représentant de l’élite titulaire d’une charge publique) découvrirait que le quidam est un animal plus complexe et riche que l’idéal type que les instituts de sondage lui présentent : la nation n’est pas antinomique de l’Europe, pas plus que le global ne s’oppose au local. Ce sont des articulations à trouver mais cela impliquerait de ne pas réduire le monde à une lutte entre le tout et son contraire, mais plutôt à s’appuyer sur la complexité du monde. À faire de la dialectique, au bon sens du terme. Autrement dit, le contraire de ce qui se fait aujourd’hui, où toute problématique est réduite à un chiffre, celle du sondage d’opinion et où la complexité est réduite à une expression, there is no alternative…
Si le président tombait sur un quidam un peu plus conscientisé que la moyenne il entendrait que plus qu’une crise de la démocratie représentative, ce sont des crises de la représentativité démocratique et du champ couvert par la question démocratique auxquels nous assistons. Les représentants, par le mode de scrutin, l’incompétence et les transferts de compétences ne finissent plus que par représenter eux-mêmes. Sans remettre au gout du jour le mandat impératif, il faudrait remettre à l’endroit la dialectique démocratique : le souverain, c’est-à-dire le peuple, se choisit des représentants pour procéder à la gestion des affaires communes et non des représentants qui ne font que solliciter des suffrages comme dans un vulgaire concours de télé-réalité. Puis il entendrait que lui, Président, le quidam, commencerait par payer lui-même son tour chez le coiffeur…
C’est fou ce que l’on peut apprendre pour 30 € maximum ( sans coloration) par semaine….