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Méritocratie de l'héritage

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méritocratie, héritage, fiscalité, succession, chance, berceau, marathonLes hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit et en dignité, cette proclamation a été une belle étape de l’histoire de l’humanité mais pas suffisante, parce que si les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit et en dignité, c’est dans la limite de ce qui les accompagnera comme cadeau dans le berceau. Répétons-le, on ne le fait jamais assez, dès la conception, les dés sont pipés. Le milieu dans lequel nous sommes conçus peut déjà influencer sur notre développement futur et les choses ne vont pas en s’arrangeant, quand, penchées au-dessus du berceau, les bonnes (ou mauvaises, c’est selon) fées du hasard distribuent atouts ou handicaps. Certains naissent avec des as, des rois et des reines dans leur jeu, d’autres n’auront qu’un deux ou un trois, et qu’ils soient de trèfle ou de pique,  et avec tout le cœur du monde, ne les empêchera pas de rester sur le carreau.

La méritocratie, qui sur le papier, est une modalité d’attribution des fonctions  et des places dans la société basée sur le seul mérite et qui semble permettre une forme d’égalité des chances, n’est qu’un voile pudique pour faire oublier certaines réalités, c’est que si nous sommes égaux en droit, nous ne sommes pas égaux en chance, en fortune, au sens étymologique du terme. Le mérite n’existe que si la compétition et juste et équitable. Malheureusement, la vie est un marathon au sein duquel certains partent du 40ème kilomètre et deux heures avant les autres, tandis que d’autres doivent faire deux fois le parcours et à cloche pied. Dans ces conditions-là, les surprises sont rares et le vainqueur est connu d’avance.

Pour lutter contre la reproduction sociale (et économique, mais les deux sont liées) et permettre une véritable égalité des chances, il n’y a pas une formule magique ou une solution unique. Mais de nombreuses dispositions pourraient, et certaines existent déjà dans ce but, conduire à mettre les compteurs à zéro pour remettre tout le monde sur la même ligne de départ (même si à l’arrivée, il y a bien un podium, tout le monde doit par ailleurs pouvoir terminer la course dans un temps honorable). L’éducation, la santé sont quelques-unes des thématiques qui permettent de remettre de la dignité et de l’égalité, si elles ne visent pas à entretenir là aussi des inégalités (La France et son système éducatif reproducteur social n’a de méritocratique que le nom aux quelques exceptions près qui confirment la règle).

Des institutions très sérieuses se sont penchées depuis très longtemps sur ces questions, et encore récemment un organisme gouvernemental, que l’on ne peut qualifier de révolutionnaire, a réfléchi sur l’un des dispositifs juridiques qui est à la source de la reproduction et de l’accroissement des inégalités, particulièrement économiques, à savoir la transmission de patrimoine et l’outil de sa régulation, le droit et la fiscalité des successions.

Dans une note d’analyse publiée le 5 janvier 2017 (http://www.strategie.gouv.fr/publications/20172027-reformer-fiscalite-successions-actions-critiques), France Stratégie, think tank gouvernemental, fait le diagnostic (connu et encore récemment mis en lumière par Thomas Piketty) de l’accumulation patrimoniale et s’interroge sur la manière de prévenir (ou plutôt d’inverser) la constitution d’une (trop voyante) société d’héritier. Le rapport n’est pas révolutionnaire, la situation, tout comme les leviers d’action, est déjà connue et décrite. Mais cette note présente néanmoins l’avantage indéniable de poser une pierre de plus à l’édifice d’une critique de certains dispositifs de la société qui en mine les fondements. La critique de la reproduction étant souvent caricaturée comme étant portée par de doux rêveurs ou de dangereux révolutionnaires, le fait que France Stratégie s’y intéresse ne peut que rendre plus crédible la lutte contre la société des rentiers et des héritiers.

Quand on parle de droit de succession, il y a une mystification face aux chiffres et des  représentations déformées sur la réalité de ceux qui sont concernés : l’immense majorité n’a pas grand-chose à transmettre et l’enjeu se situe du côté des vrais possédants, ceux qui sont la société des héritiers, les 10 % de la population qui  possèdent la moitié du patrimoine en France (les 90 % restants se partageant l’autre moitié du patrimoine d’un spectre disparate mais néanmoins modeste qui va de rien du tout à un joli bien immobilier). Sur les vingt dernières années, la valeur moyenne du patrimoine des 10 % les plus fortunés est passée de 700 000 € à 1 200 000 € soit un gain de 500 000 € quand dans le même temps, la valeur moyenne du patrimoine des 50 % les moins fortunés passaient de 18 000 € à 45 000 € soit un gain de 27 000 € et encore s’agit il d’une moyenne. Les disparités sont énormes et la structure des droits de succession conduit à ce qu’une majorité de français, lorsqu’ils héritent, ne sont pas réellement concernés par la question des droits de succession, entre franchise, abattements et taux progressifs, les droits de succession sur pas grand-chose produisent une imposition symbolique quand elle n’est pas tout simplement inexistante. C’est le tour des forces des possédants que de rallier, pour la défense de leurs patrimoines, ceux qui ne sont en rien touchés par la fiscalité des donations entre vifs et des droits de succession post-mortem… Parler d’augmenter les droits de succession et vous verrez se lever une vague de protestation venant de toutes parts, y compris de ceux qui ne possèdent rien ou si peu et qui sont les victimes du processus de concentration patrimoniale. Les plus fortunés n’ont même pas à apparaître sur le devant de la scène, les idiots utiles se bousculent au portillon à leur place…

Pourtant, un taux nettement plus progressif, et réellement confiscatoire au-delà d’un certain seuil, serait un outil puissant pour réintroduire une certaine équité entre les citoyens. Cela ne résoudrait pas tous les problèmes, loin s’en faut, mais constituerait déjà en soi un progrès, un correctif puissant et avant toute chose, un symbole fort. Le mérite n’en serait alors que plus réel, et plus grand. Il n’est pas interdit de transmettre ce rêve, sans droits de succession.

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