Irréprochable. Qui ne mérite aucun reproche, qui n’offre rien à reprendre. Qualité qui est censé s’attacher à toute personne aspirant ou détenant un pouvoir, plus particulièrement quand ce pouvoir est attaché à une fonction publique qui par définition, dans un régime démocratique, est une délégation qui provient des autres congénères[i]. Irréprochable, car pour prendre un exemple dans la culture contemporaine, de grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités, comme le dit si justement Peter Parker, alias Spiderman.
C’est la confiance dans l’institution qui est au cœur de cette nécessaire irréprochabilité. Que ce soit un élu, un agent de police ou tout autre représentant public, plus que pour d’autres, le respect des règles, l’intériorisation d’une certaine éthique et une valeur d’exemple à cultiver sont aux nombres des qualités et attitudes attendues. Une écrasante majorité le fait, avec un sens réel de la chose et du service publics, et ce, dans des contextes souvent difficiles d’une société où la violence, le rejet de l’autre, quand ce n’est pas sa négation, s’insinuent plus ou moins ouvertement désormais. Mais si les personnes ayant fonction de repères de la société, ceux censés représenter et protéger les autres, faire la loi, ou encore l’appliquer, se mettent eux-mêmes dans des situations qui méritent le reproche, la crédibilité des institutions fond comme neige au soleil et entretient dans un cercle vicieux l’incompréhension mutuelle et le rejet réciproque.
Servir les autres est un exercice difficile. C’est même souvent un travail ingrat : il y aura toujours des bonnes âmes pour vous expliquer en quoi vous faites mal votre boulot et comment ces bonnes âmes le feraient mieux si elles étaient à votre place, même si elles n’oseront jamais avouer que c’est une place qu’elles ne vous envient pas. L’écrasante majorité des élus et des policiers font leur boulot avec passion, probité et dignité. Mais il y a les brebis galeuses. Celles qui minent la confiance de la société, celles qui conduisent à construire des généralités à partir de cas particuliers. Des exemples : Un ministre amateur de paradis fiscaux, des élus copains comme cochon avec les lobbys ou des policiers ouvertement violents ou racistes, l’actualité en présente quelques-uns ces dernières années. Ne rien faire des brebis galeuses c’est prendre le risque qu’elles contaminent toute l’institution et la foi, au sens étymologique du fides latin, que l’on place dans une institution.
À la décharge des policiers (chercher à comprendre n’est pas excuser…), notamment quand ils sont pris dans les filets d’une performance publique qui s’apparente à une course effrénée aux chiffres, à la spirale des statistiques avantageuses pour les gouvernants et que l’institution est baignée d’un discours très clairement répressif, à force de ne côtoyer que les éruptions pathologiques de la société, sans prendre de recul, ils en oublient que ces éruptions ne sont pas le général et en viennent à confondre causes et conséquences, voir même à ne plus vouloir regarder les causes en face. Ce n’est pas l’objet du présent billet, mais la ghettoïsation plus ou moins volontaire des quartiers sensibles n’est pas sans conséquence sur les dérives constatées de ces zones délaissées.
Si certains publics auxquels les forces de police sont confrontées ne sont pas des anges et s’apparentent à des personnages peu recommandables, sans foi ni loi, et disons le vulgairement des gros bons connards, cela ne donne pas un blanc-seing pour excuser les dérives et les bavures. Au contraire, garder son self-control, ne pas répondre à la provocation, c’est cultiver cette irréprochabilité nécessaire à conserver la confiance de toutes et tous. L’État de droit, c’est cela, appliquer la loi et le droit à l’État et ses organes. La bavure d’Aulnay sous Bois, les propos d’un syndicaliste policier sur le caractère convenable du terme bamboula, doivent être traités avec sévérité pour justement préserver tant l’État de droit que la confiance dans l’institution policière. Dans le même temps, il est également nécessaire de donner les signes et les moyens adaptés à la police pour qu’elle mène à bien ses missions, mais sans tomber dans le travers du tout sécuritaire. Trouver un équilibre, loin des déclarations péremptoires et démagogiques.
Au demeurant, il est consubstantiel aux missions de la police que ses représentants soient brocardés et bousculés. C’est vieux comme le monde et il y a un rapport toujours ambivalent à l’autorité : « L’hécatombe du marché de Brive La Gaillarde » n’est qu’une forme poétique et fleurie d’un « Nique la police » plus sec, vulgaire et contemporain. Oublier ce fait, c’est faire croire que le phénomène est nouveau et introduire un biais dans l’analyse.
Ces épisodes montrent néanmoins un déplacement, une bascule de la société. Au risque d’enfoncer une porte ouverte, rappelons que ce qui est imperceptible est difficilement visible de prime abord. Et depuis des années, des petits déplacements s’exécutent. Des comportements impensables il y a quelques années se multiplient. Des petits reculs qui s’additionnent en portant la facture et la fracture à un niveau astronomique. Faire société est un combat de tous les jours, n’attendons pas que le point de non-retour soit atteint pour nous réveiller…
[i] faisons une légère digression, par principe, tout pouvoir est détenu à partir du consentement ou de la servitude, plus ou moins volontaire, des autres.