La Bretagne pourrait être un paradis sur terre, mais soyons honnête, tout n’y est pas aussi rose que la côte de granit de Perros-Guirec. L’actualité économique de ces derniers temps n’est pas des plus joyeuses, en dépit de la belle publicité pour la marinière d’Armor-Lux réalisée à peu de frais avec la complicité d’un ministre qui aimerait redresser ce qui doit l’être…En effet, Doux et PSA sont là pour rappeler que la Bretagne n’échappe pas au rouleau compresseur de la crise qui sévit depuis déjà 2008.
Pour commencer, rappelons que l’accès au marché du travail local n’est pas un long fleuve tranquille. La recherche d’emploi peut être compliqué, notamment par un niveau de poste très éloigné de ce qui peut être proposé à Paris, qui ne correspond pas toujours à ses propres qualifications le tout accentué par phénomène de faible turn over, le breton restant accroché à son bout de terre, et donc à son poste comme un bernique sur son rocher. Au final le marché de l’emploi est peu ouvert. On ne vient donc pas en Bretagne pour faire carrière comme on le ferait dans la ville lumière. Et si l’on n’abandonne pas totalement ses ambitions en venant vivre dans la péninsule armoricaine, elles ne peuvent plus être seulement professionnelles et doivent se conjuguer nécessairement avec l’aspiration à un mieux vivre d’ordre privé.
La loi, qui s’apparente à une malédiction, qui sévit pour les couples qui font le grand saut en province se vérifie en Bretagne : l’un des deux aura le bon poste, le plus souvent l’homme, tandis que l’autre, le plus souvent madame par voie de conséquence, ne trouvera qu’un emploi moins qualifié, et même moins rémunérateur que l’allocation chômage calculé sur le salaire du précédent job... Sur l’autel des sacrifices, la parité n’est pas respectée en la matière et les réseaux/associations de femmes trentenaires, à haut niveau de qualification, avec enfants, ayant abandonné un poste important pour suivre leur mari et se retrouvant sur le carreau connaissent un succès dont elles se passeraient bien…
Mais au fait, c’est quoi le marché du travail en Bretagne ?
C’est un peu de tout et pas toujours ce que l’on croit, ce qui d’évidence ne permet pas au lecteur de se faire une idée précise, alors prenons un bout et allons-y !
Et si plutôt que de commencer par l’agriculture nous commencions par l’industrie ?
L’industrie lourde, celle de l’imaginaire des hauts-fourneaux ou du textile, à part dans quelques ports avec les arsenaux et Rennes avec l’automobile, n’a jamais été un secteur structurant de la Bretagne, ce qui explique deux caractéristiques de la région aujourd’hui : elle a été un peu moins touchée que d’autres régions (comme le Nord, l’Est, la Banlieue rouge de Paris ou le pourtour de l’étang de Berre dans le Sud) par la désindustrialisation et ses vagues de plans sociaux sans fin ; elle n’a pas constitué non plus une terre traditionnelle d’immigration jusqu’alors. Ce fut même le contraire, le flux Bretagne-Gare Montparnasse ayant été soutenu très longtemps, le monde paysan d’alors envoyant son surplus de bouche à nourrir hors de la région en la proposant comme main d’œuvre, faisant de Paris la première ville bretonne (pour la légende et parce que le breton voit de la Bretagne partout…) …
Pourtant, de l’industrie, la Bretagne en regorge et c’est une des rares régions où l’érosion a été moins prononcée qu’ailleurs. Mais c’est une industrie spécialisée sur les forces traditionnelles du territoire, à savoir les domaines de l’agro-alimentaire et de la mer, mais, et c’est plus surprenant au niveau des représentations que l’on peut se faire de la Bretagne aux images et réseaux ou encore des énergies renouvelables. Saviez-vous que le Minitel était tout droit sorti de labo rennais ? Un autre exemple de la force de frappe industrielle armoricaine ? Quand vous pêchez des sardines, pour les conserver, vous les mettez en boîte et ce n’est pas si simple que cela, il faut des machines-outils, un process, etc… ! La Bretagne, c’est un peu ça, de fil en aiguille on devient spécialiste de tous les étapes d’une filière, notamment celle de la transformation. C’est pas la conquête de l’espace mais ça y participe…
L’agriculture et l’industrie agro-alimentaire constituent un poids lourd du secteur et un lourd poids dans le quotidien régional…. Le meilleur et le pire de la société bretonne. Une richesse, à n’en pas douter, de l’avenir, assurément mais des erreurs, nombreuses, et pas toutes réparées ou résolues. Le porc et les algues vertes comme repoussoir, le pâté Hénaff comme fer de lance, on tombe dans la caricature mais on n’est pas loin d’une certaine vérité. Si les efforts sont réels, ils ne sont pas toujours aussi rapides que souhaitables.
La filière agro-alimentaire est un pilier de l’économie bretonne, avec un souci de l’innovation certain mais aux équilibres fragiles. Les cours des matières premières agricoles, de l’énergie, un ralentissement de la consommation et c’est toute la chaîne qui déguste. Doux l’a bien montré ces derniers mois, les géants ont souvent des pieds d’argile.
Une chose est pourtant incontestable : l’humanité continuera à se nourrir… ce qui laisse de belles perspectives à la Bretagne.
Si l’agro-alimentaire terrien constitue un pôle de compétitivité pour la Bretagne, la mer en est un autre, depuis longtemps. La ressource marine, le tourisme, le nautisme, l’énergie, le transport, il y a là quelques ingrédients pour donner un peu de boulot aux uns et aux autres, sans toutefois constituer l’alpha et l’oméga de la péninsule.
Tenez, un quart de la pêche française est réalisé entre Douarnenez et Lorient. Et pour ce qui est de la valorisation des produits de la mer autres que le poisson, l’autochtone s’y est mis très tôt. Breton rime avec goémon et si la filière est de nos jours anecdotique, elle est le lointain ancêtre de ce qui se fait aujourd’hui, par exemple en matière de culture d’algue, pour la consommation ou même pour en faire du carton !
Mais ne soyons pas dupe, la Bretagne ressemble aux autres régions dans la décomposition de son marché du travail, en dépit de ses spécificités réelles.
La tertiarisation est largement à l’œuvre, et si la richesse primaire est assise sur l’industrie au sens large (y compris tertiaire de recherche, d’ingénierie…), les fonctions administratives et commerciales sont les deux autres mamelles du développement. Les centres urbains ont souvent comme premier employeur l’hôpital et les collectivités territoriales. Rien de choquant là-dedans, mais au contraire une alerte pour tous ceux qui vilipenderaient la dépense publique sans réfléchir aux conséquences d’un retrait de ce même secteur public : les impôts de tous font les salaires de certains et les revenus des autres que les précédents dépensent dans les commerces et autres entreprises locales. Un hôpital qui ferme, c’est un désastre sanitaire…et économique, d’où la résistance pour maintenir ces services comme cela a pu être le cas à Carhaix avec sa maternité.
Pour le commerce, rien ne ressemble plus à une zone commerciale qu’une autre zone commerciale. Et pourtant, en cherchant bien, on peut bretonniser un peu la chose…si si c’est possible, c’est un sport national que de bretonniser le quotidien et de voir de la celtitude même dans les plus petits détails. Entre parenthèses, la lecture de la presse locale est édifiante de ce point de vue: si la dame pipi de l’hôtel dans lequel est descendu une star est ou à des origines bretonnes, on fera le lien avec ladite star, qui de fait, ne le sait pas, mais se trouve être un peu bretonne du fait qu’elle a rencontré un jour Nadine de Ploubalay !
Mais revenons à nos moutons des zones commerciales de sortie de ville (ou de villages).
La star bretonne des zones commerciales, c’est bien évidemment Leclerc ! Une franchise tentaculaire, partie d’une épicerie finistérienne, qui s’est implanté sur tout le territoire. Mais le secteur est en crise, une saturation d’offres commerciales, une consommation des ménages en berne, la vente par internet, mettent à mal l’activité et l’emploi…la décroissance constructive n’est pas encore à l’ordre du jour.
Pourtant des success story, la Bretagne en connaît des palanqués. Ainsi de Robert Lascar. Avec un nom comme le sien il ne pouvait que réussir. Eurodif, Burton of London, il s’est taillé un empire dont le centre de gravité tourne du côté de Brest, comme le groupe Le Duff, avec la brioche dorée et la pizza del arte… Rennes n’est pas en reste avec la famille Pinault et Vannes n’a pas à rougir avec le groupe Bic, notamment Bic Sport…
Qu’on se le dise, le Breton a une âme d’entrepreneur mais il cache bien son jeu. Il sait s’appuyer sur son territoire, pour en faire une rampe de lancement et saura le remercier au centuple par la suite. Toujours le Breton s’accroche à son vieux duché…
Le Breton capitalise sur son territoire en se la jouant collectif à l’occasion. C’est une autre success story, celle de de Produit en Bretagne. Où comment des étudiants d’une école de Commerce brestoise créent une association pour promouvoir certaines valeurs entrepreneuriales et commerciales autour de la Bretagne. Et comment aujourd’hui l’appartenance à ce réseau est un gage de reconnaissance par le consommateur. La Bretagne a été un précurseur et aujourd’hui nombreuses sont les régions qui se sont lancées dans le logo commun de promotion des produits locaux, comme par exemple Sud de France pour le Languedoc-Roussillon.
De beaux groupes, un esprit d’entreprise, un identité forte, la Bretagne a tout pour plaire. Elle n’en reste pas moins une région ultrapériphérique en Europe, qui de fait constitue un handicap. La Bretagne continue de souffrir de l’exode de ses diplômés qui partent trouver meilleure fortune dans les grandes capitales européennes. Ce sont d’ailleurs de ressources sur laquelle la région s’appuie pour en faire des ambassadeurs efficaces… Mais la réalité est là, la Bretagne n’échappe ni au chômage ni encore moins au bas salaire… Le paradis existe mais il n’est jamais loin du purgatoire et de l’enfer…
Les chroniques d'un néo-breton prennent un peu le large, le néo-breton sent qu'il a besoin de ressourcer sa vision de la péninsule. Kenavo...jusqu'à la prochaine fois.