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société - Page 32

  • Comment survivre à la réunionite...

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    Chronique, humour, réunionite, survieA peine de retour de vacances et déjà votre agenda professionnel se remplit plus vite que son ombre. L’épidémie de réunionite frappe à nouveau le territoire et il vous sera difficile d’y échapper.

    Mais qu’est-ce que la réunionite exactement ?

    La réunionite est une maladie professionnelle provoquée par un abus de réunions douteuses, qui peuvent conduire à inventer des problèmes qui n’auraient pas existé autrement, sous le seul prétexte de se réunir et d’échapper à un vrai travail.

    A ce titre il faut savoir distinguer la bonne réunion de la mauvaise. Comment ? C’est une bonne question, qui fera encore longtemps les beaux jours de la recherche et qui a conduit à de nombreuses réunions et multiplication de comités de pilotage. Au stade actuel des avancées scientifiques, il semblerait qu’une bonne réunion permettrait de ne pas aboutir sur une nouvelle réunion tout de suite.

    Concernant la mauvaise réunion, on relève des cas, certes rares mais pas anodins, d’individus pris dans une spirale infernale qui les conduit de comités de pilotage en groupes de travail sans passer une seule fois par leur bureau au cours de la semaine. C’est d’ailleurs pour cette catégorie de salariés que le solitaire et l’iPhone ont été initialement mis au point. Pour les occuper et garder un lien avec le reste du monde.

    Quelques mesures simples vous permettront de passer l’année sans trop souffrir des maux provoqués par la réunionite. Qu’elles soient prophylactiques ou pour atténuer les effets de la maladie.

     

    Mieux vaut prévenir que guérir :

    C’est le meilleur remède. Eviter coûte que coûte la mauvaise réunion. Pour cela, il est nécessaire de la confondre, par une technique de questionnement assez simple. Cette maïeutique préliminaire devrait tuer dans l’œuf le projet de regroupement envisagé.

    Vous recevez un email de proposition de réunion. Premier réflexe, demander "pourquoi" ? L’instigateur de la missive sera, une fois sur deux, bien embêté. Il ne pourra décemment pas répondre qu’il ne le sait pas lui-même. Dès lors, l’absence de réponse clôturera le dossier. Pour quelques temps du moins. En effet, votre collègue ne pourra s’empêcher de vous relancer, à la manière d’une maladie cyclothymique.

    Si votre interlocuteur insiste après vous avoir répondu sur le pourquoi, demander un ordre du jour précis. La liste des participants. Un dossier synthétique. Dans l’hypothèse où toutes vos demandes auraient été satisfaites, vous pouvez accepter la réunion. A priori, vous n’y perdrez pas votre temps. Et vous aurez aidé un collègue à préparer sa réunion, il se peut même qu’il vous en remercie !

     

    S’occuper en comitologie :

    En dépit de votre vigilance, vous ne pourrez pas échapper à la réunion inutile. Soit parce que votre supérieur hiérarchique vous y a inscrit et convoqué d’office (le fameux, allez y faire un tour pour voir ce qui se dit ou se fait…), parce que l’instigateur est un filou et a su appâter le chaland, ou tout simplement parce que vous avez baissé la garde et n’avez pas su dire non.

    Ainsi, vous voilà coincé pour quelques minutes si vous êtes chanceux, pour quelques heures plus sûrement et vous n’en pouvez plus d’aligner carrés, ronds, triangles et losanges sur vos feuilles de prise de notes qui auraient du devenir un compte-rendu dont il ne restera qu’une date et quelques initiales.

    Plusieurs stratégies s’offrent à vous pour rendre ce moment moins désagréable et peut-être même utile :

    - Apportez avec vous courriers, notes et autres documents que vous devez lire et auxquels vous devez donner une réponse. Vous avancerez dans votre travail et surprendrez vos collègues, qui à n’en pas douter, seront stupéfaits de vos étonnantes capacités à mener de front réunions, rédaction, organisation… De plus, le temps vous paraitra moins long, ce qui n’est pas négligeable… Il vous faudra cependant garder une oreille attentive, s’il s’avérait que l’on demande votre avis … Mais aucune inquiétude, c’est une aptitude qui s’acquiert très vite.

    - Dans l’hypothèse où vous êtes assuré que personne ne vous sollicitera durant la réunion, pourquoi ne pas en profiter pour faire votre liste de courses, organiser vos prochaines vacances, écrire à votre vieille tante… Le temps perdu en réunion sera utilement gagné après la journée de travail, avec un temps libéré des petites tracasseries administratives quotidiennes.

    - Transformez une torture en un moment unique et ludique ! Avec la complicité de compagnons de réunions, lancez-vous quelques défis : placer une liste de mots farfelus choisie d’avance au cours de la réunion tels que Zanzibar, gloubi-boulga, empapaouteur des sommets… Cette activité est amusante, et constitue un entrainement efficace à la rhétorique et fera de vous un as de l’à propos. Vous pouvez également, pour vous occuper et vous amuser, entrer dans le jeu des organisateurs de la réunion. Soyez grandiloquent ! Utilisez leur novlangue pour donner un point de vue aussi creux que leur pensée mais habillé des plus beaux atours de la science dite de la sodomisation des diptères qui fera son petit effet !

     

    Ces conseils ne sont pas exhaustifs et l’auteur de ce billet est preneur de vos anecdotes sur la réunionite aïgue.

     
  • Chroniques d’un jeune parent, la vie professionnelle, part two

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    Chroniques, humour, jeune parent, vie professionnelle, préparation du matin, crise de nerf, teinturierSur les chemins de la vie professionnelle, avoir des enfants allonge singulièrement les temps de parcours, au sens propre, comme au sens figuré, comme cela a pu être développé dans des chroniques précédentes.

    Pour le sujet qui nous intéresse plus particulièrement aujourd’hui, il faut partir d’un constat implacable : le petit d’Homme n’est guère autonome et nécessite donc une attention particulière, que ce soit dans l’élaboration de son petit-déjeuner, la prise de ce dernier, la session habillage et tutti-quanti jusqu’au départ de l’ensemble de la troupe pour chacune de ses occupations quotidiennes. Sauf à se lever plus tôt que la marmaille, le doux temps où l’on pouvait prendre son café en rêvassant, un journal, un livre ou un fond radiophonique comme compagnon de réveil est révolu. Vous pouvez toujours essayer mais l’exercice est périlleux, le roman, le journal, le dossier important se retrouveront immanquablement maculés du contenu du petit-déjeuner si vous n’y prêtez pas attention.

    Ce qui amène le chroniqueur a livré un tuyau aux lecteurs attentifs qui en deviendront ainsi avertis : n’enfilez le costume, chemise, pantalon, robe qu’au tout dernier moment. Autrement, c’est une incitation à retourner chez le teinturier…En effet, votre enfant, sans malignité de sa part, ne pourra s’empêcher de poser ses mains pleines de confiture sur le pantalon récupéré la veille au pressing, de renverser son chocolat au lait sur la chemise immaculée, d’essuyer sa bouche dégoulinante de beurre fondue sur le tailleur ou la robe de maman. C’est comme cela, c’est un appel au crime que le présumé coupable ne pourra s’empêcher de commettre. Maintenant que vous êtes prévenu, vous vous épargnerez colère, dépenses inutiles et retard dû au changement de garde-robe.

    Attention aux obstacles qui viennent gripper la grande mécanique de la routine matinale : la rupture de stock de lait ou de céréales constitue un premier psychodrame, qui plombera la bonne ambiance qui présidait jusqu’alors, le retard dans les machines de linge qui provoque la sueur froide du parent sur le mode si je lui remets les affaires de la veille que va penser l’instit, je suis bon pour une dénonciation aux services sociaux. Mais ceci n’est rien à côté du caprice auquel chaque parent a été confronté au moins une fois dans sa vie, à savoir le jour où l’enfant décide qu’aujourd’hui, nan, il ne veut pas aller à l’école. La mauvaise foi, la colère, la mauvaise volonté qu’il met pour empêcher l’inéluctable vont entacher votre bonne humeur pour le reste de la journée. S’accrochant à tout ce qu’il peut, table, cage d’escalier, lit, jambes… il tentera par tous moyens sonores, cris, pleurs, de faire ployer l’adulte par l’utilisation d’une torture psychologique digne des services secrets américains à Guantanamo.

    Mais vous n’avez pas que cela à faire, vous laissez dicter votre conduite par un diablotin pas plus haut que trois pommes. Ne cherchez pas à l’amadouer, à lui faire entendre raison ou à gagner son adhésion : il n’entendra rien. Ce sera l’épreuve de force, jusqu’à la porte de la crèche, de la nounou ou de l’école. Il vous faudra être plus fort que les regards atterrés des passants qui vous prennent pour le dernier des bourreaux, les regards faussement compréhensifs des autres parents et enfin l’expression dépitée et accusatrice de la nounou ou de l’instit.

    Il n’en reste pas moins que l’enfant est déposé, mission accomplie, prenez une inspiration avant de tenter une autre quête : arriver au travail sans être en retard… une autre aventure commence… 

  • Vote utile, vote utile?

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    chronique, humour, politique, vote utile, 21 avril 2002, mélenchon, hollande, jospin, le penLe 1er tour approche à grand pas et le grand exercice de culpabilisation de l’électeur qui n’aurait pas fait le choix d’un vote en faveur d’un des deux principaux challengers atteint son paroxysme.

    La une de Libération du jour ne trompe pas : en faisant de Marine Le Pen la menace qui pèse sur ce scrutin, le quotidien entend rappeler au peuple de gauche le spectre du 21 avril 2002. Le vote dit utile est de retour, il va constituer l’argument principal d’une stratégie politique de fin de campagne.

    D’accord, le programme d’Eva Joly est celui qui s’approche le plus de ce qu’il conviendrait de faire à l’heure du changement climatique, ok Méluche a une stature et un discours qui rappellent les grandes heures de la gauche, un Jaurès du 21ème siècle, et c’est vrai, Hollande, dans sa recherche de posture mitterrandienne, avec un programme en 60 points qui ne donne pas la clé de la société proposée, si ce n’est quelques touches de ci de là, n’est pas du genre à transporter celui qui pense qu’un autre monde est possible. Mais vous êtes responsable, vous ne voulez pas faire perdre votre camp, la gauche, n’est-ce pas? Alors votez utile !

    Notons que certains socialistes, en off, vous diront qu’ils vous comprennent et que si ça ne tenait qu’à eux, ils voteraient pour un autre candidat que le leur mais vous savez ce que c’est, on ne fait pas toujours ce que l’on veut dans la vie…

    A l’heure de glisser un bulletin dans l’enveloppe, puis dans l’urne, l’électeur devra dépasser la culpabilité que tentent de lui faire endosser les uns et les autres. C’est un acte difficile, la pression du groupe est forte, même si le secret de l’isoloir devrait pouvoir permettre de s’en abstraire.

    Car c’est bien la conscience qui doit guider le vote. Voter utile peut être un acte  pensé, réfléchi, assumé. Mais ce n’est pas une fin en soi. Ce peut même être une mauvaise raison, si on le fait en traînant les pieds.

    Si un candidat a peur de ne pas figurer au second tour, il ne doit pas en chercher la faute chez les autres, mais plutôt dans son incapacité à convaincre. C’est la leçon de 2002, Lionel Jospin, en dépit d’un bon bilan comme premier ministre n’a pas su faire une bon candidat (rappelez vous l'annonce de sa candidature par fax...).

    Si François Hollande considère avoir réalisé une bonne campagne, il ne peut qu’être à son honneur, et celui de ses partisans, de ne pas dégainer l’argument du vote utile. Après tout, le premier tour permet de saisir l’état de l’opinion, de construire un programme politique en faisant la synthèse au deuxième tour. Et on peut faire confiance au candidat du PS pour la réaliser, il en est le spécialiste. Mais encore faut-il laisser le citoyen s’exprimer en paix. Ça s’appelle le respect. Ou autrement dit, ne pas prendre l’électeur pour un con…

  • « Angry Birds », les oiseaux en colère

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    nouvelles,angry birds,addiction,folieJusqu’à son quarantième anniversaire, Jacques Daniel ne savait pas ce que le terme addiction signifiait. Il en connaissait parfaitement la définition mais n’en avait souffert d’aucune. L’alcool se limitait à un verre de vin à l’occasion, et encore pour ne pas froisser ses hôtes, la cigarette ne l’avait jamais attiré, il n’avait pas éprouvé le besoin, jeune adolescent, de partager un calumet de la paix pour s’insérer dans la vie sociale et le démon du jeu le laissait dubitatif. Bref, et sans multiplier les exemples qui sont pourtant légions en la matière, aucune passion ne l’avait amené à ressentir une perte de la maitrise de soi et plus particulièrement une abolition de sa volonté.

    N’allez surtout pas croire qu’il ne s’intéressait à rien. Bien au contraire, son esprit avait soif de nouveautés, conduisant ce paisible vendeur d’une grande enseigne d’ameublement et d’électroménager à papillonner d’un loisir à un autre, sans chercher à atteindre l’excellence que permet l’exercice d’une forme de monomanie artistique. Certains diront que sa vie était sans saveur du fait de l’absence de profondeur de l’exploration, d’autres qu’elle était sagement équilibrée, question de points de vue dont le lecteur est seul juge à cette heure.

    Jusqu’à l’entrée dans sa quarante et unième année disions nous donc, Jacques Daniel ne connaissait pas les joies et les peines d’une passion dévorante, de celle qui consume parce qu’elle abolit ce qui nous rend profondément humain, la conscience du temps et de l’autre. Le temps que l’on marque par des bornes, dont certaines ont pour nom anniversaire et qui vit Jacques Daniel recevoir un objet tout à fait banal, mais aux conséquences inattendues : un téléphone portable intelligent ou pour être moderne et dans le vent, un smartphone. Dans les jours qui avaient suivis l’anniversaire fatidique, rien ne changea véritablement pour Jacques Daniel. Le téléphone remplissait les fonctions permettant de le ranger dans la catégorie des objets que l’on nomme fort à propos téléphone : tenir une conversation entre deux points assez éloignés pour que la seule portée naturelle de la voix humaine ne fonctionne plus. Naturellement, le néo-quadragénaire commença à explorer le contenu du menu de son téléphone dont les fonctions de base n’étaient qu’un prétexte pour disposer de toutes les autres possibilités. Du réveil en passant par le chronomètre, de la galerie photo à l’agenda électronique, le menu fut mis à nu. Y compris la section jeux et devrions nous préciser, surtout la section jeux. Même si la marque du téléphone importe peu, il faut bien avouer que le ver était dans le fruit.

    Le diable se nichant dans le détail, Jacques Daniel découvrit entre l’inusable solitaire et l’indispensable Sudoku, un jeu aussi déroutant qu’élémentaire, au scénario écrit par un enfant de cinq ans, les oiseaux en colère, dont le titre original était « Angry Birds », parce que dans le domaine, rien ne peut se faire sans en appeler à la langue de Shakespeare. Le principe du jeu : des oiseaux se sont fait voler les œufs de leur dernière couvée par des cochons. Ils ne sont pas contents et vont le faire savoir en pourchassant ces derniers pour les détruire. Comment ? C’est là qu’intervient la magie de la technologie tactile, qui va permettre au joueur de projeter les dits oiseaux en colère au moyen d’un lance-pierre, actionné le contact de ses doigts sur l’écran, sur les représentants de la famille des suidés, qui vous le noterez, n’imaginaient pas de telles conséquences du fait même de ce vol que seule la faim avait motivé semble t’il. Pour ajouter à la difficulté d’un tir dont il faut maitriser la puissance autant que l’angle de départ, des obstacles protègent les cousins des trois petits cochons dont les conseils en construction auraient été fort utiles pour ne pas voir les oiseaux atteindre leur but.

     Jacques Daniel, que la teneur potache tout autant que pathétique du jeu avait fait sourire commença à se prêter de bonne grâce à l’exercice qui consistait, à l’aide de son index, à tendre l’oiseau entre les deux extrémités du lance-pierre pour l’envoyer dézinguer un cochon. Après quelques réglages pour appréhender l’art délicat du lancer, le quadragénaire réussit, sans trop forcer son talent, à passer le premier niveau avant de se retrouver devant un premier casse-tête, qui prenait la forme  d’une configuration délicate, faite d’obstacles à abattre pour atteindre les voleurs d’œufs : les caractéristiques de chacun des oiseaux mis à disposition devaient être savamment étudiées pour permettre une utilisation optimale de leur qualité tout en réussissant, par un effet papillon savamment recherché, à détruire le maximum de protection autour de la cible. Sans faire de mauvais jeu de mots, ni même sombrer dans la facilité, on peut dire que Jacques Daniel s’était pris au jeu. Sans compter que l’expression sardonique et les borborygmes moqueurs des dits cochons, lorsque le lanceur ratait son coup, avait le don de renforcer la volonté de ce dernier d’en découdre avec ces animaux pour lesquels, jusqu’alors, il n’avait jamais ressenti une quelconque hostilité, même inconsciente.

    Appelé par sa femme pour venir l’aider à préparer le repas, le quadragénaire ne se rendit pas compte qu’il venait de franchir la frontière de l’addiction lorsqu’il répondit à la séduisante Anne-Marie, j’arrive dès que j’ai passé ce niveau, ce n’est pas un petit cochon qui va se mettre en travers de mon chemin. Triste sort, qui voit se réunir sous nos yeux tous les ingrédients d’une incompréhension entre un homme et une femme qui se connaissent et s’aiment depuis deux décennies, et qu’une passion dévorante naissante met sur les rails de la querelle, qui ne va pas tarder à montrer le bout de son nez fourbe. En effet, ce que laissait présager la réponse lointaine, comme agacée dans le ton, de Jacques Daniel à sa femme, se transforma rapidement en incident diplomatique matrimonial de premier ordre quand, une demi-heure plus tard, après quelques rappels infructueux et de plus en plus insistants, la femme touchée dans son amour propre se planta devant le junkie, bien malgré lui, des accessoires ludiques des nouvelles technologies. Jacques Daniel, ayant constaté que les sourcils de sa femme n’avaient jamais été aussi froncés, ne put que se résoudre, à contrecœur, à déposer le fauteur de trouble en bredouillant quelques plates excuses. L’incident était clos …mais le mal était là, dans les veines et l’esprit de l’homme.

    Le lendemain, à peine le petit déjeuner englouti, Jacques Daniel repris le jeu là où il avait été contraint de le laisser. Depuis son réveil, il n’avait pensé qu’à cet instant, loin des yeux tout à la fois inquisiteurs et réprobateurs de sa femme, qui soupçonnait les pires malheurs à venir devant le comportement pour le moins inhabituel de son mari. Il avait passé la soirée de la veille à jeter des regards anxieux sur son nouveau joujou, comme s’il attendait un appel, ou toute autre chose. La suspicion avait envahi le cœur et la raison d’Anne-Marie Daniel, sur fond de légende de la fameuse barrière de la quarantaine des hommes qui se franchirait en déclenchant le non moins fameux démon de midi.

    La suite aurait pu lui donner raison tant le comportement du vendeur d’électroménagers parut prendre une voie qui rappelait les symptômes d’un adultère réalisée dans les règles de l’art du genre: des absences au domicile répétées, une forme de négligence sur soi qu’une fatigue causée par une double vie ne pouvait empêcher de camoufler, un besoin de s’enfermer dans les toilettes le téléphone à la main, prêt à transmettre par SMS de doux billets à une probable briseuse de ménage, et plus frappant encore, des invitations au restaurant et des fleurs comme s’il en pleuvait, car c’est bien connu, le remords déclenche le besoin d’offrir pour camoufler l’écart de conduite mais ne fait qu’alerter la victime de la trahison en train de se commettre, selon le vieux principe, le mieux est parfois l’ennemi du bien.

    Du matin au soir, les pensées de Jacques Daniel étaient tournées vers sa basse cour improbable, réfléchissant aux moyens de surmonter les obstacles de plus en plus difficiles qu’il rencontrait dans le jeu, mais également dans la vraie vie, où le travail, la vie familiale, et pour faire court la société l’empêchaient de jouir pleinement de son amour immodéré, quoique futile et incompris, de ces oiseaux en colère.

    Jacques Daniel se retrouva rapidement sur le fil du rasoir, aculé par sa femme, son patron, ses amis, les ultimatums se succédant sans que la passion qui était en train de le consumer ne montre quelques signes d’essoufflement. Au contraire, pour assouvir sa déviance, le possédé des oiseaux virtuels prenaient des risques inconsidérés, entre prétextes bidons aux clients et collègues pour mieux s’enfermer dans la réserve du magasin, embouteillages fantômes pour ne pas rentrer à l’heure au domicile conjugal et insomnies provoquées pour descendre jouer en toute discrétion dans le salon à l’heure où tous les chats sont gris. Jacques Daniel dépérissait, les yeux injectés de sang par le manque de sommeil et une surdose de rétro éclairage qu’une utilisation inconsidérée du téléphone provoquait…

     L’entourage décida de se réunir. Sous le toit de la victime. La nécessité d’agir était reconnue unanimement. C’est sur le contenu de l’action que les avis divergeaient : méthode douce ou brutale, isolement du sujet ou mise sous tutelle, consultation d’un spécialiste ou non, sorcellerie ou maraboutage… Le concile ne débouchait sur rien, aucune proposition n’emportait l’adhésion.

    Alors que les échanges étaient vifs pour ne pas dire houleux, un cri inhumain, comme une bête que l’on piquerait à vif, arrêta net les palabres : le hurlement provenait du sous-sol, où Jacques Daniel se terrait pour s’adonner à son addiction. Anne-Marie Daniel bondit de sa chaise, évita de justesse de renverser la table et s’engouffra dans la cage d’escalier. Elle ralentit en approchant de la porte qui s’ouvrait sur la pièce dans laquelle son mari se trouvait. L’homme était prostré, de dos, immobile sur le fauteuil qu’il ne quittait plus la nuit. Sa femme s’approcha, avec une appréhension non dissimulée, du corps qui avait produit ce son presque irréel. Le regard fou, la bave aux lèvres, Jacques Daniel pleurait en silence, les mains cramponnées au téléphone mobile. Sur l’écran, une inscription : Félicitations, vous êtes parvenu au dernier niveau, le jeu est terminé…